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La façon de faire les lois financières

17 Janvier 2016 , Rédigé par Christian Eckert

Mercredi, le Président de la République adressait ses vœux aux "corps constitués". Dans son allocution, il consacrait un long passage à s'interroger sur notre façon de légiférer. Cela m'a rappelé un projet de texte que j'avais écrit sur ce sujet il y a trois semaines et dont j'avais proposé la publication à un grand journal national. Celui ci n'a pas jugé opportun de le publier. Je le fais donc ici :

« Faire de la politique autrement ! ».

Une expression dans toutes les têtes et sur toutes les lèvres au lendemain du second tour des régionales. Faire de la politique autrement : ce n’est pas qu’une affaire d’hommes et de femmes, ce n’est pas seulement intégrer des profils différents, initier la concorde, compter le nombre de ses mandats. Faire de la politique autrement, c’est aussi réfléchir à son organisation et à l’élaboration des lois. C’est vrai pour de nombreux textes législatifs, ça l’est aussi en matière de textes financiers :

Ce que l’on appelle le « marathon budgétaire » s’est achevé le 22 décembre dernier : près de 3 mois passés jours et nuits à l’Assemblée Nationale et au Sénat pour étudier 3 textes financiers. Rien qu’à l’Assemblée Nationale, pour les deux seuls projets de loi de finances et de finances rectificative, nous avons eu 248 heures de débats, pour examiner 3 641 amendements, et en adopter 1 005. Rien d’étonnant pour moi - il s’agit de mon quatrième budget de fin d’année, en tant que rapporteur général puis ministre. Mais cette année, une fois la ligne d’arrivée franchie, nous avons tous fait la même analyse : c’est une épreuve qui nous parait chaque année plus longue, plus complexe et moins efficace.

Sans avoir la prétention d’être ici le porte-parole de tous, il me semble que certains constats sont assez largement partagés. Dans le cortège des réflexions à mener sur la nécessité de faire de la politique autrement, une réflexion sur la question de la longueur (et même la lenteur) du processus législatif mérite d’être conduite. Des initiatives doivent être prises, et s’articuler autour de trois enjeux : la réactivité, la lisibilité et la visibilité.

Le calendrier et la préparation des lois de finances suivent immanquablement chaque année le même cours : des « lettres plafond » envoyées à chaque ministre dès le mois de juin, l’établissement du budget au mois d’août, la présentation en Conseil des ministres fin septembre, l’arrivée au Parlement courant octobre, puis le vote en décembre. Plus de 6 mois pendant lesquels la donne change, où les données macroéconomiques évoluent, où de nouvelles priorités apparaissent. Les avis du Haut Conseil des Finances Publiques comme les valeurs des prévisions de croissance ou d’inflation prises en compte en septembre, n’ont évidemment plus la même actualité en décembre au moment du vote de la loi. Même si nous faisons en sorte d’être réactifs tout au long de l’année, il faut bien reconnaitre que dans ces conditions, nos projets de lois semblent « usés » avant leurs publications.

Autre conséquence de cette séquence à rallonge : le manque de lisibilité. Au gré des navettes nous aurons une petite dizaine de fois le même débat, sur un même amendement, qui sera parfois adopté, parfois rejeté. Les medias se feront l’écho de cet amendement, évoquant son adoption en commission des finances, son rejet dans l’hémicycle, puis sa vie au Sénat, qui un peu plus tard prendra à son tour une décision contraire, d’abord en commission, puis en séance, avant que tout cela ne revienne à l’Assemblée nationale, qui détricote, avant de renvoyer au Sénat… ! Que peuvent comprendre nos concitoyens à tout cela, s’ils entendent, à huit jours d’intervalle autant d’injonctions contradictoires ? Sans dénier à quiconque le droit au débat, il faut bien reconnaitre qu’il y a là un vrai problème de communication entre le législateur et les concitoyens.

Un corollaire à cela est le manque de visibilité : comment intéresser les français (et même les journalistes) au débat lorsqu’il traîne en longueur ? Comment rendre compte de l’investissement des parlementaires et de la qualité de leurs travaux lorsque la multiplication des séances, souvent de nuit, présente aux français un hémicycle quasi désert. La forme prend alors le pas sur le fond. Les polémiques faciles masquent les enjeux fondamentaux des textes financiers tels que la fiscalité écologique, la modernisation de notre fiscalité ou le respect de notre trajectoire budgétaire

Quelle est la trace laissée dans l’esprit des français ? Un sentiment de cafouillage, le fameux « couac » : puisque les débats ne sont pas suivis, on oublie aisément que des dispositions similaires ont été votées quelques jours plus tôt sur un autre texte, dans une autre chambre. L’impression également que les choses ne changent pas, n’avancent pas, voire reculent après avoir avancé. Un décalage entre les annonces – qu’on qualifie même « d’effet d’annonces » - et la réalité quotidienne. Ainsi, toute mesure concernant l’impôt sur le revenu, même annoncée en septembre de l’année N, ne sera concrétisée pour le contribuable qu’autour de septembre de l’année N+1. La mise en œuvre de la retenue à la source sera sur ce point un progrès considérable.

Trois textes financiers (Projet de loi de finances pour 2016, Projet de loi de finances rectificative pour 2015, Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016), étudiés chacun dans deux assemblées, qui autorisent chacune deux lectures successives, comprenant chacune un passage en commission et un autre en séance plénière, c’est réserver le débat à des spécialistes, et donc le confisquer aux français qui ne s’y retrouvent pas. La question de la méthode de travail législatif doit donc être posée. C’est un sujet qui transcende les partis et les courants. C’est une question qui doit nous permettre de nous retrouver et de nous rapprocher de l’ensemble des français. Il appartient aux Assemblées d’y apporter librement des éléments de réponses. Sans doute qu’une modification de la loi organique relative aux lois de finances (L.O.L.F.) sera nécessaire.

Mais si l’on veut « faire de la politique autrement » il faudra au moins autant que les acteurs, remettre en cause les méthodes et les structures.

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