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Convention fiscale France/Luxembourg : la vraie histoire détaillée d'un gros cafouillage...

7 Juin 2022 , Rédigé par Christian Eckert

Pour comprendre les erreurs commises et les contre-vérités diffusées par le député sortant et ses soutiens, il convient au préalable de connaître quelques principes législatifs dont le grand public n’a pas forcément -et c’est bien normal- connaissance dans les détails :

Trois principes constitutionnels :

  1. L'article 34 de la constitution dispose que : « La loi fixe les règles relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. » C’est donc le seul Parlement qui décide de l’impôt, et non le pouvoir exécutif (Président et Gouvernement).

 

  1. Si l’article 52 de la constitution réserve au Président de la République le soin de négocier et de ratifier les traités, l’article 53 précise que « les traités qui engagent les finances de l'Etat ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi ». Le Parlement est donc seul compétent pour la ratification des conventions fiscales.

 

  1. Enfin l’article 55 stipule que : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ». Le pouvoir exécutif ne peut donc suspendre la mise en œuvre d’une convention dès lors que le Parlement l’a ratifiée.

Autres précisions de méthode qui ont leur importance :

  • Un projet de loi concernant la fiscalité est souvent très technique. Il est écrit dans des formes juridiques précises, renvoie à d’autres textes existants que l’on n’a pas forcément sous les yeux, traite de sujets complexes… Une virgule oubliée ou un adverbe rajouté peuvent en changer radicalement la portée.
  • Pour construire et voter sérieusement la loi, lorsqu’un projet de loi est déposé, l’Assemblée Nationale désigne un « rapporteur » chargé d’analyser, décortiquer, commenter le texte et évaluer ses effets pour que les parlementaires soient parfaitement informés lors du vote. Celui-ci est assisté par des administrateurs aguerris de l’Assemblée, et est l’interlocuteur privilégié du Gouvernement qui a l’obligation de répondre à ses questions. Il présente un rapport qui éclaire les débats.
  • Lorsqu’une convention internationale est proposée à la ratification du législateur, elle ne peut pas être modifiée. Le Parlement ne peut que l’approuver ou la refuser. Cela se comprend puisqu’un pays étranger est partie prenante, et que le Parlement français ne peut négocier avec un autre pays. Il est déjà arrivé qu’une assemblée refuse de ratifier une convention fiscale (Colombie, Andorre…).

Ceci étant rappelé, la convention fiscale France-Luxembourg est un exemple, au milieu de plus d’une centaine d’autres conventions fiscales, dont le parcours législatif mérite d’être examiné :

  1. Des échanges débutés en 2016, poursuivis fin 2017, ont eu lieu entre représentants administratifs français et luxembourgeois pour actualiser les relations fiscales entre nos pays. Le Gouvernement auquel j’ai appartenu n’a jamais eu à examiner de projet, et ce n’est que le 20 mars 2018 que cet accord fiscal a été signé entre les Gouvernements français et luxembourgeois.
  2. Le projet de loi de sa ratification a fait l’objet d’un rapport pour avis du député de Longwy daté du 11 février 2019. Le rapporteur n’a jamais commenté l’article 22 (il y en avait 31) qui transformait radicalement le mode de calcul de l’impôt des foyers ayant des revenus provenant des deux pays. La méthode de l’imputation remplaçait la méthode de l’exemption. Le rapporteur préconisait l’adoption de la convention et s’en félicitait. Certes, 30 articles sur 31 amenaient des progrès, sur des situations concernant les entreprises ou sur les échanges d’informations entre nos administrations. Mais l’article 22 concernant les travailleurs frontaliers était passé sous silence et inquiétait beaucoup les nombreux contribuables français intéressésés. L’Assemblée adoptait, après des débats occultant l’article 22, le projet de loi de ratification le 14 février 2019 et la loi était publiée le 26 février 2019.
  3. Quelques articles de presse, quelques fiscalistes, mes propres commentaires étaient alors balayés par les députés LREM lorrains. Pourtant, sans grande publicité, un avenant à la convention était signé à Luxembourg en marge d’une autre réunion le 10 octobre 2019. Cet avenant réécrivait entièrement l’article 22 et prétendait revenir à la situation d’exemption ayant existé jusqu‘alors. La députée LREM de Thionville était nommée rapporteur du texte, et le Parlement ratifiait dans l’allégresse de nos députés cet avenant le 20 janvier 2021. Il a été publié finalement au JO du 28 janvier 2021.
  4. Une lecture attentive de l’avenant conduisait à toujours s’interroger sur ses conséquences. Et en effet, lors de l’émission des feuilles d’impôts de l’été 2021, des dizaines de milliers de foyers s’indignaient de devoir régler des centaines voire des milliers d’euros d’impôts supplémentaires, contrairement aux affirmations de leurs élus. A quelques mois des élections, l’affaire devenait sérieuse. Les parlementaires cherchèrent donc des explications : les échanges avaient commencé en 2016. J’étais alors encore Secrétaire d’Etat et faisait un responsable idéal. Comme si le Ministre validait le contenu d’une des 100 conventions fiscales existantes deux ans avant sa version finale et sa signature !
  5. Alors l’administration fiscale de Bercy pouvait aussi être un fusible. Elle aurait « interprété » les choses… Car le « bug » vient en grande partie du fait que dans l’assiette servant à calculer le taux d’imposition des revenus français, l’impôt déjà payé au Luxembourg n’est plus déduit. Et l’administration l’aurait inventé… Pas de chance : une lecture de l’article 22 ne laisse aucun choix à l’administration puisqu’il y est écrit : « …dans ce cas, l’impôt luxembourgeois n’est pas déductible de ces revenus … ». En l’occurrence, l’administration fiscale, dont je connais les qualités comme les excès, n’a fait qu’appliquer la loi votée par le Parlement ! Strictement son travail.
  6. En pleine contradiction avec les principes constitutionnels que j’ai rappelés, le Gouvernement a voulu éteindre l’incendie allumé par autant d’erreurs ou d’omissions. Il a publié au BOFIP (Bulletin Officiel des FInances Publiques) du 11 octobre 2021 un report pour deux ans de l’application de l’article 22 pourtant ratifié deux fois et s’imposant normalement à la loi. Les ratifications du Parlement sont oubliées pour un temps et nul ne sait en juin 2022 comment seront calculés les impôts sur les revenus de.....2022.

 

Cette triste histoire contribue à donner une mauvaise image du fonctionnement de nos institutions. Certes, des erreurs peuvent être commises. Autant de maladresses sur un sujet aussi important, c’est grave. Encore peut-on être un peu pardonné si on les reconnait sans se défausser sur d’autres et si on les corrige dans la durée. Ce n’est pas ce qu’ont fait les acteurs de ce dossier. Le député sortant de Longwy ose dire dans une vidéo que « le rôle d’un député est de faire la loi et non de ratifier une convention ». C’est tout simplement faux. Son rôle est justement d’accepter ou de refuser la ratification d’une convention internationale. En l’occurrence, il s’est félicité à deux reprises de l’avoir acceptée avant de réaliser très tard qu’elle pénalisait ses électeurs. Il se vante aujourd’hui d’en avoir suspendu l’application jusqu’aux élections. Il promet « qu’il continuera le combat »… Après 5 ans d’exercice de la fonction, il semble ne pas avoir compris à quoi il pourrait être utile. Les députés, comme les électeurs, doivent réfléchir avant de voter.

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D
C'est pas la première fois que les députés LaREM font des tatonnements comme cela. Pour la fiscalisation des francais de l'etranger un rapport de la députée de la 11ème circosncription (Asie) Anne Genetet avait amené à une loi pénalisant les retraités vivant à létranger et fiscalisait leur retraite dès le premier euro. Quelques mois avant les élections consulaires de l'an dernier, la loi a été "reportée" à plus tard, le parti macroniste craignant de perdre une partie de ses électeurs. Vous savez, c'est un peu comme l'histoire du fou qui te tape avec un marteau sur la tête et quand il s'arrête, il déclare: "Ça fait du bien!"
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C
Luc,<br /> Tu as raison de rappeler cet épisode, et je mes souviens que nous nous sommes connu autour de cette occasion... Et c'est drôle mais j'ai failli dans mon post utiliser la métaphore de l'homme au marteau.<br /> Bien amicalement
M
Entièrement d'accord avec l'analyse. Cependant je souhaite apporter un complément qui me paraît essentiel. La non déduction de l'impôt luxembourgeois est évidemment une cause de l'augmentation de l'impôt français. Mais ce n'est absolument pas la seule, loin de là. Ma situation personnelle en témoigne. Il semblerait qu'il y ait une différence au niveau de la décote avec un impact important sur le calcul de l'impôt français.<br /> Des simulations prenant en compte un large échantillonnage de situations me semble plus que jamais nécessaire (y compris avec un impôt Luxembourgeois égal à zéro).
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C
Vous avez entièrement raison ! ce post est pédagogique et se veut politique, dans le bon sens du mot, la politique devant être le moyen de gérer collectivement les questions de société.... Je sais que le montant calculé du Crédit d'impôts, suivant qu'on le fait "à la luxembourgeoise" ou bien "à la française" est aussi très important... Mais le sujet rebondira forcément.<br /> Pour l'anecdote, j'ai rempli en ligne la déclaration de ma fille dont le conjoint est profession libérale au Luxembourg. J'ai appelé le centre de renseignements pour explications... Après un peu de temps et des explications hésitantes, on m'a passé une personne très compétente, qui m'a bien indiqué les cases à utiliser. Ce correspondant m'a dit à plusieurs reprises (sans que je l'interroge) que c'était la dernière année et que l'an prochain cela changerait... On verra.<br /> Bonne fin de journée.