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Mon interview paru ce jeudi dans "La Semaine"...

19 Décembre 2018 , Rédigé par Christian Eckert

-Comment avez-vous trouvé Emmanuel Macron ? Sur la forme ? Avait-il la gravité, la carrure, la hauteur de vue du président rassembleur ?

Il a fait une prestation « correcte », même si j’ai trouvé le passage sur la sécurité un peu lourd et convenu. La plupart des manifestants sont des gens raisonnables et non violent. Il n’a en tout cas pas réitéré les écarts de langage qui étaient devenu coutumiers et qui ont légitimement frappé nos concitoyens. Mais pour espérer être rassembleur, il doit encore réparer toutes les fautes accumulées depuis 18 mois.


-Et sur le fond ? A-t-il pris conscience de la gravité de la crise et apporté des réponses adaptées sur le SMIC, la CSG pour les retraités, le pouvoir d’achat ?

Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas prendre la mesure de la crise. Pour autant, les réponses apportées ressemblent à du bricolage : pour le SMIC, le choix d’une majoration de la prime d’activité est ambigu, complexe et a des effets pervers. Pourquoi pas un sérieux coup de pouce « normal » ? Pour les retraités, seuls ceux ayant un revenu fiscal compris entre 1200 et 2000 Euros sont concernés, et encore, seulement pour retrouver leur niveau de pension d’avant. Mais tous auront une retraite moins revalorisée que l’inflation ! De plus, aucun financement n’est annoncé, sauf une fois de plus des allègements de cotisations sociales qui vont encore assécher la Sécurité Sociale et amener à baisser la qualité des soins.


-Si vous étiez encore à Bercy en faveur de quelles mesures auriez-vous plaidé ?

La situation serait différente. Pour 2019, si on en est là, c’est parce que cette majorité supprime l’ISF, l’exit-tax et instaure la flat-tax sur les revenus des actionnaires (5 Milliards). C’est aussi parce qu’elle transforme le CICE qui soutient les entreprises en baisses de cotisations sociales (20 Milliards). Quand on a « cramé » 25 Milliards pour la seule année 2019, on ne peut que majorer les autres impôts et taxes sans même retrouver de quoi redistribuer. En tout cas, j’aurai plaidé pour une revalorisation du point d’indice des fonctionnaires et un retour à l’indexation des pensions et du SMIC sur l’inflation.


-Comment analysez vous la crise sociale ? Quel en est le détonateur ?

La mondialisation des échanges a conduit à une concurrence effrénée à tous les niveaux : fiscal, social, environnemental… Notre pays a perdu une partie de son avance dans certains de ces domaines. Mais le choix de s’aligner vers le bas sans toucher à certaines élites est inacceptable. D’autant que, même entamée, notre compétitivité est loin d’être négligeable. Supprimer l’ISF en même temps qu’on majorait la CSG et les taxes a été un détonateur. Présenter cela comme une mesure pour la transition énergétique a été une erreur et un mensonge. Après, la mauvaise communication a fait le reste…


-Emmanuel Macron n’a tiré aucune leçon de son élection due aux circonstances plutôt qu’à une adhésion à sa personne et à son programme. Qu’a-t-il raté pour façonner le nouveau monde qu’il annonçait ?

Je ne crois pas au passage subitement d’un monde à un autre. La preuve en est faite aujourd’hui. Ce prétendu nouveau monde avec un parti fantôme, où on ne cotise pas, où on ne vote pas, où on n’est ni de droite ni de gauche mais seulement fédérés par le ralliement à un individu, cela ne tient pas. Si la vie publique est à améliorer, c’est par le débat, l’affrontement des idées, le sens de la responsabilité, la transparence, le respect mutuel… Le culte de la personne, quelle qu’en soit la qualité, même si elle est élue au suffrage universel, ne peut remplacer le partage des valeurs politiques.


-Pourquoi selon-vous cristallise sur sa personne autant de rejet ? Peut-il s’en remettre ?

Emmanuel Macron n’a pas d’expérience exécutive locale ou régionale. Ce n’est pas une tare, mais il aurait pu se faire conseiller et accompagner par d’anciens maires, élus locaux et moins faire confiance aux milieux, le plus souvent parisiens, formatés à l’entre-soi des réseaux influents assez souvent liés à l’argent roi. Au lieu de réaliser que son élection a été aussi le fruit de circonstances particulières et au lieu de chercher à élargir son socle d’amis, il a piétiné ses concurrents, parfois même ceux qui l’ont fait roi, parfois même ceux qui partageaient certaines de ses idées. Il a voulu être seul. Il l’est… Et de plus en plus. Il y a rajouté l’arrogance et le mépris, certainement inconsciemment.  Il s’en remettra difficilement. Mais le plus grave est qu’il a accentuer le rejet populaire du peuple pour ses dirigeants. Moins que sa personne, c’est la fonction qui est mise en cause. François Hollande a été rejeté pour excès de faiblesse et trop grande normalité. On est à l’opposé, mais le résultat est le même, la colère en plus.


-Vous qui l’avez côtoyé à Bercy êtes-vous surpris par sa façon de gouverner très jupitérienne ?

Non, pas du tout. Sous des abords charmeurs et charmants, Emmanuel Macron a toujours été ferme et sans concession sur ses positions. Cela peut être une qualité, mais pas quand on est Ministre. Jamais il n’a eu le sens du travail en commun. Je me suis, plusieurs fois, rallié à des positions du Gouvernement qui n’étaient pas les miennes : dans toute équipe, il faut des majorités et les positions ne sont jamais uniformes. Lorsque, par exemple, j’étais Ministre du Budget et que mon collègue Macron à Bercy exprimait ses réserves sur l’ISF, je trouvais cela anormal. Mais, à Bercy, Ministre de la République, il a passé une grande partie de son temps à préparer son mouvement et sa candidature… Je le décris dans mon livre. J’aurais sans doute pu être plus offensif et parler plus fort à l’époque. En tout cas, j’ai averti et ai vite pris mes distances lorsqu’il a pris son envol en public. Là encore, la preuve semble être faite.


-Faut-il une bonne fois pour remettre la fiscalité à plat ?

La fiscalité doit évoluer, c’est sûr. Contrairement à l’idée reçue que le quinquennat Hollande n’a rien fait, il faut rappeler que depuis 2012, l’ISF avait été réactivé, une tranche marginale à 45% pour les revenus supérieurs à 150 000 Euros a été créée et surtout les revenus du capital avaient été soumis au barème d’imposition comme ceux du travail. Pour autant, la croissance a été retrouvée en fin de quinquennat et les créations d’emplois ont été fortes. Le déficit public a été divisé par plus que deux et la sécurité sociale a été remise à l’équilibre… Désolé de constater que depuis 18 mois, l’ISF est supprimé, les revenus du capital sont imposés par une « flat-tax » hyper-favorable, la croissance plonge et le déficit public flambe à nouveau, sans que le chômage s’améliore et que la qualité de vie des français devienne meilleure.

La progressivité de l’impôt existe dans notre pays, mais il y a encore beaucoup de complexité. Avec le temps, je préconise de suivre la recommandation : « assiette large, taux faible ». Exonérer d’impôt trop de revenus (les primes, les heures supplémentaires, les allocations, certains investissements…) oblige à avoir des taux qui amplifient les inégalités. Il est enfin urgent de clarifier le financement de la protection sociale. Baisser les cotisations dans tous les sens sans assurer les ressources finira par détruire un système que le monde entier nous envie et que les assureurs privés convoitent. Une idée ( à laquelle j’ai longuement été défavorable ) serait de fusionner les recettes de l’Etat avec elles de la Sécurité Sociale.


-Les corps intermédiaires peuvent-il aider à recoudre le pays?

Bien sûr, l’expérience montre que l’organisation collective ne peut que canaliser les débats. A chacun de s’y engager. Passer quelques heures sur les réseaux sociaux ne remplace pas un dialogue direct entre citoyens désireux de réfléchir et de construire ensemble


- Les grands partis d’opposition ne sont guère audibles ? Politiquement qui tire bénéfice de la crise ? La France Insoumise avec laquelle le PS s’allie pour déposer une motion de censure ? Le Rassemblement national ?

A terme, tout le monde perdra. La coupure entre les partis et les citoyens est mortifère pour la vie démocratique. Certes les valeurs politiques ne sont pas binaires et traversent parfois la notion gauche/droite. Pour autant, les différences ne sauraient être gommées au motif que les uns auraient moins bien ou mieux réussi que les autres. Avec ses insuffisances, la France est jusque là restée une grande démocratie (modèle des valeurs humanistes pour bien d’autres pays du monde). Avec ses faiblesses, elle est toujours une forte puissance économique. Même perfectibles, ses forces militaires comptent dans un monde parfois explosif. Alors pourquoi vouloir systématiquement considérer que les femmes et les hommes politiques qui ont dirigé le pays sont nuls depuis des décennies et qu’un dieu sauveur viendra tout régler ?


-On n’entend pas beaucoup le PS, pourquoi cet effacement ?

Le PS est sonné. Il a été « dégagé » et cela doit être pris en compte. Il a aussi été trompé et le Président actuel s’en est servi comme tremplin avant de le crucifier. Comme tous ceux qui se font berner, le PS a sa part de responsabilité parce qu’il a prêté le flanc et a lui-même engendré celui qui l’a jeté après emploi. Maintenant, les rapports de force, y compris les quotas dans les médias, rendent peu audibles les socialistes qui veulent incarner la gauche « responsable » qui manque à notre pays.


-Les origines de ce mouvement de fond viennent de très loin, pensez-vous que le quinquennat de François Hollande porte sa part de responsabilité ?

Sans aucun doute. On ne peut exercer le pouvoir 5 années durant, avec d’ailleurs des relais locaux expérimentés, et dire qu’en 18 mois nos successeurs ont engendré le chaos. Pour autant, j’ai pour ma part peu d’erreurs flagrantes en tête dans les domaines que je connais le mieux. A refaire, je reviendrai sur la suppression de Sarkozy de la demie-part des veuves, j’aurais réformé les dotations entre l’Etat et les collectivités locales car leur répartition pose en fait plus de questions que leur volume global, j’aurais été plus patient dans nos exigences de retour à l’équilibre dans le domaine de la santé….


-Parlons de l’Europe, l’affaiblissement du président de la République à l’intérieur réduit-il à néant sa capacité d’influence ?

Sur le plan international, la communication Macron a été insupportable, avec une complicité outrancière des médias ! La vigueur d’une poignée de main avec Donald (Trump !), un accueil de l’un à Versailles, de l’autre à la tour Eiffel, des propos insensés : « La France est de retour » (Elle était partie ?). 18 mois plus tard, les USA ont dénoncé les accords de Paris sur le climat, les accords sur le nucléaire iraniens et taxent tous azimuts les produits importés chez eux. Tous les dirigeants appellent Macron à plus de modestie suite à ses difficultés internes et la France est moquée à l’étranger. On est d’autant moins influent que l’on a cru se sentir excessivement fort. Je le regrette, mais Emmanuel Macron vit là les affres de ses prédécesseurs en Europe.


-Vous étiez candidat pour conduire la liste du PS aux européennes ? C’est toujours d’actualité ?

Non. Le renouvellement passe par des changements de personnes. Je reste engagé, mais à priori pas pour occuper un poste. Mais j’évite de dire jamais… Et toujours…


-Redoutez-vous qu’en juin prochain une déferlante des partis populistes sorte des urnes ?

Oui, même si le mot populiste devient galvaudé. Clairement le Rassemblement National est pour moi un adversaire, un danger. D’autres partis dits populistes (je pense bien sûr à La France Insoumise) n’ont pas les même excès. Jean Luc Mélenchon emmène les gens dans une impasse. C’est dangereux, mais cela a pu m’arriver aussi de promettre l’irréalisable… C’est sans comparaison avec ceux qui prônent des valeurs de rejet des autres et des violences pas seulement verbales.


-La région Grand Est répond-elle aux impératifs de la réforme voulue par François Hollande ? Est-elle assez puissante et suffisamment visible ?

Elle se cherche encore, et c’est un euphémisme. La réforme des Régions n’a pas été ce que l’on a fait de mieux. Deuxième euphémisme… Surtout chez nous. Les relations avec le Luxembourg stagnent et c’est un troisième euphémisme. Pour le Pays-Haut, Monsieur Darmanin avait promis de venir il y a un an… Pas venu. Le Préfet de Région, mandaté par Jacques Mézard, alors encore Ministre, devait faire des propositions en septembre. Rien lu sur le sujet. Par contre l’Alsace est promise à s’unir avec des compétences nouvelles. Bien curieux tout cela…


-L’unification alsacienne et les compétences qui vont être attribuées à ce département compromettent-elles la cohérence de la Région et son existence

En posant la question, vous soulignez les risques. La relation Moselle - Meurthe et Moselle sera vitale. Quelques progrès ont été faits, mais cela reste largement à construire. La Région Lorraine y contribuait. La Région Grand-Est ne le fait pas. De là à revenir en arrière sur les Régions nouvelles, je n’y crois guère.

 
-Votre regard sur l’avenir ?

Les atouts de la France sont importants. Donc la crise de confiance en ses élites qu’elle traverse (elle n’est pas la seule à connaitre cela) sera surmontée. Plus de modestie et d’écoute des uns et plus de compréhension de tous pourra y contribuer. Les transformations du monde s’accélèrent. Pour autant, des repères stables sont nécessaires. La France peut en être un. Et la vraie modernité est de rester fidèle à de vieilles et belles valeurs dans un monde en mouvement. Si c’est être ringard, je le revendique !

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