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LE MELON DE DARMANIN, extrait d' "Un Ministre ne devrait pas dire ça..."

12 Juillet 2020 , Rédigé par Christian Eckert

Je n'ai rien à dire sur les affaires en cours concernant le nouveau Ministre de l'Intérieur. J'ai suffisamment de griefs contre les décisions des Gouvernements de Monsieur Macron pour commenter le dernier casting de l'équipe remodelée. Les actes ont parlé et parleront d'eux même et je ne pratique pas le procès d'intention. Je me contenterai donc de reproduire ici un chapitre de mon livre paru en mai 2018 ("Un Ministre ne devrait pas dire ça..." aux éditions Robert Laffont), un peu retouché et complété.

 

 

 

Le melon de Darmanin

 

 

Le 7 mai 2017, Emmanuel Macron est élu président, et Édouard Philippe désigné Premier ministre le 15 mai. Il est temps pour moi de faire place nette.

En fin de mandat, un ministre fait ses cartons. Au sens propre comme au sens figuré. Depuis quelques jours, j’emballe, je jette, je débarrasse… Les pots de remerciement s’égrènent, avec les huissiers, les douaniers, les secrétaires, les chauffeurs, les officiers de sécurité, le personnel de l’appartement, des cuisines… Je sais l’instant particulier, mais il était attendu. Attendu d’abord dans le sens "prévu". Attendu aussi dans le sens "espéré". Trois ans de Budget, ça vous rince un homme, même un costaud de Lorraine.

 

Un ministre reste en fonction jusqu’à la nomination de son successeur. C’est une période particulière. J’expédie les affaires courantes. De temps en temps un parapheur arrive, nécessitant quelques signatures de routine. Le cabinet fait relâche. Les conseillers baguenaudent, jouent aux cartes au milieu des cartons.

Nos quelques biens personnels ont quitté l’appartement de Bercy pour rejoindre la Lorraine. Il n’y reste que quelques affaires de toilette et du linge de rechange. Laurence est encore là ce lundi, soucieuse d’être à mes côtés lors de la passation de pouvoir traditionnelle. La nomination du nouveau gouvernement est attendue pour le lendemain, un mardi. Nous devrions donc pouvoir rentrer chez nous le mardi soir, une fois le nouveau ministre installé.

 

 

De l’opportunisme en politique

 

En ce début d’après-midi ensoleillé du lundi, nous allons tous les deux marcher un peu dans le quartier. Ce n’est pas folichon, mais mieux que de ruminer en tournant en rond dans les bureaux vides et aseptisés de l’Hôtel des ministres. Mon Smartphone annonce que la nomination du gouvernement est reportée d’une journée. Officiellement, c’est pour passer « au scanner » la situation judiciaire et fiscale des entrants. Les affaires autour de Richard Ferrand, François Bayrou et quelques autres montreront que ces prétendues investigations n’auront servi à rien.

Et connaissant les choses de l’intérieur, je sais que l’administration peut faire très vite. La vraie raison – et c’est toujours comme ça – est davantage liée aux négociations et à l’ajustement des équilibres politiques qui prennent plus de temps que prévu….

 

Je propose alors à Laurence de nous éviter une dernière nuit à Bercy. Le TGV Est permet de rejoindre Metz en 1h30. Nous dînerons et dormirons enfin à la maison et je reviendrai seul tranquillement le lendemain matin pour attendre mon successeur et lui donner les clefs. Laurence est tout sourire, et nous filons à la gare, soulagés de quitter cette ambiance pesante.

Je me retrouve donc le lendemain dans le bureau du 5° étage pour une dernière journée.

En milieu de matinée, Gilles Carrez m’appelle gentiment. Ses appels ne sont pas fréquents et toujours justifiés. Député de droite, rapporteur général – avant moi – à la Commission des finances de l’Assemblée, Gilles en assure la présidence depuis 2012. Nous nous connaissons bien et nous nous estimons au-delà de nos opinions politiques. Nous avons eu les mêmes difficultés, savons le travail colossal que nécessitent nos fonctions et mesurons l’ingratitude envers celles et ceux qui souvent font le « sale boulot ».

 

L’appel de Gilles Carrez n’est cette fois pas motivé par nos relations de travail. Il me dit simplement son respect pour mon engagement sans relâche à mon poste. Il me dit penser à moi et à la difficulté de ces derniers moments. Je le sais sincère et désintéressé, ce qui est assez rare en ce moment.

À la fin de cet échange amical, je lui demande s’il a des informations sur la personne qui pourrait être nommée au Budget. Il me dit alors avoir le matin même appris de bonne source

– à droite, donc – que Gérald Darmanin prendrait ma place. Un SMS d’Émilie, mon attachée de presse, évoque aussi cette hypothèse circulant parmi les journalistes.

 

Les bras m’en tombent. Gérald Darmanin n’a jamais été à la Commission des finances. Je ne me souviens pas l’avoir entendu dans un débat budgétaire. Il fait partie, dans mon souvenir, des jeunes francs-tireurs de l’UMP, puis des Républicains, parmi les plus à droite. Ancien directeur de campagne de Christian Vanneste – condamné pour homophobie –, il est catalogué par certains dans la zone grise entre la droite et l’extrême droite. C’est lui qui, un jour, a osé le pire en qualifiant Christiane Taubira de « tract ambulant pour le Front national ».

À 15 heures, mon cabinet est au complet dans mon bureau pour écouter l’annonce de la composition du gouvernement. Bruno Le Maire remplace Michel Sapin et Gérald Darmanin sera bien ministre du Budget. Deux ministres issus du principal parti de droite seront à Bercy. Ainsi en a décidé le nouveau président.

 

 

 

 

 

« Le roquet a appelé ! »

 

J’exprime ma surprise devant mes collaborateurs, puis je souhaite la réussite du pays afin d’éviter l’avènement de Marine Le Pen.

Je monte immédiatement d’un étage pour envisager, avec Michel Sapin, le déroulement des passations de pouvoir. Michel me lance derechef : « Le roquet a déjà appelé ! » J’hésite et ne comprends pas bien. « Qui ? Darmanin ?... »

Michel me confirme avoir reçu, deux minutes plus tôt, un appel de Darmanin pour convenir de l’heure et des conditions de la passation des pouvoirs. Michel lui a répondu de voir cela avec moi… Logique : Le Maire remplace Sapin, et Darmanin remplace Eckert.

 

Michel Sapin a toujours été pour moi un ministre attentionné. Bien d’autres secrétaires d’État m’ont confié avoir été méprisés par leur ministre de tutelle – y compris à Bercy ! Michel, lui, m’a toujours laissé beaucoup de latitude, m’a fait profiter de son expérience ministérielle et de sa proximité avec François Hollande et a pris soin d’avoir avec moi des échanges directs, francs et amicaux.

 

Là, Michel est embarrassé… «  Darmanin ne veut pas de passation avec toi… Il est ministre et tu n’étais que secrétaire d’État… Il en fait un fromage ! »… Un « melon » plutôt ! Les vexations commencent tôt en macronie… Mais Michel m’indique avoir refusé les exigences de mon successeur. Sapin accueillera Le Maire et Eckert Darmanin.

Je réponds à Michel de faire pour le mieux, que tout cela m’indiffère – je n’ai qu’une idée en tête : quitter Paris et retourner chez nous – et lui demande seulement de faire vite pour que j’attrape le dernier train…

 

 

À 15h30 environ, Gérald Darmanin m’appelle. Quand même... Après mes félicitations républicaines, il me fait part de son problème protocolaire et me sonde sur mes intentions… « Tu comprends, je suis ministre de plein exercice, tu ne l’étais pas… » Je lui rétorque que cela m’est égal – en langage plus épicé… –, qu’il se mette d’accord avec Michel Sapin et Bruno Le Maire et que je m’adapterai sans susceptibilité, quitte à partir sans tambours ni trompettes.

Une heure plus tard, Michel Sapin me fait état des négociations en cours : Darmanin exige que Michel Sapin soit là et prononce deux mots d’accueil avant de me passer la parole pour le traditionnel discours de passation. Michel n’a rien « dealé » sans connaître mon avis. Je lui confirme que je n’en ai rien à f…... et que seule compte pour moi la possibilité de me rendre à temps à la gare de l’Est.

 

Nous procédons ainsi. L’honneur est sauf, et le nouveau ministre est accueilli par un homme de son rang tout en écoutant un discours de celui qui l’a précédé. L’entretien traditionnel entre les ministres se déroule à trois. Nous y échangeons quelques banalités convenues sur les réformes en cours, la situation budgétaire et l’ambiance sociale dans le ministère. Gérald Darmanin nous dit des choses gentilles, tout le contraire de ce qu’il fera après… Bienvenue en macronie.

 

Ce type de comportement m’insupporte. J’ai cherché durant mon parcours politique, aux différents postes que j’ai occupés, à garder la tête froide. Devant les honneurs qui m’étaient rendus, j’ai plus éprouvé de gêne que de plaisir. J’ai souvent éconduit mon officier de sécurité, soucieux de porter moi-même le cartable d’écolier qui ne quitte jamais. Quand Manuel Valls me voyait débouler dans son bureau, il me disait en plaisantant : « Attention, tu vas encore l’oublier en partant ! » C’est arrivé, en effet, plusieurs fois !

Voir ce jeune et tout frais ministre, indépendamment de sa curieuse évolution politique, faire d’entrée de jeu des histoires pour si peu m’a choqué au plus haut point. Comme un signe avant-coureur de la suite de son comportement.

 

L'une des suites est connue... Quoique...

Macron Ministre n'avait pas très envie de mettre en place le Prélèvement A la Source (PAS). Il fallait bien suivre le MEDEF ! Macron Président a retardé sa mise en œuvre.

Avec mes équipes de Bercy, nous avions fait un travail énorme pour préparer et faire voter le PAS dans la loi fin 2016. Cela avait mobilisé 100 personnes pendant un an. Je m'étais investi à fond dans cette opération.

Quand Darmanin est arrivé à Bercy, le travail était fait. Il suffisait "d'appuyer sur le bouton". Il l'a fait avec un an de retard, changeant à peine une virgule à notre travail.

 

Quand Darminin évoque son passage à Bercy, il revendique seul la paternité du Prélèvement à la Source, qu'il présente comme son fait d'armes majeur.... A peine gonflé....

 

Avoir le "melon" incite sans doute à avoir les chevilles qui enflent....

...

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