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Mon interview paru ce jeudi dans "La Semaine"...

19 Décembre 2018 , Rédigé par Christian Eckert

-Comment avez-vous trouvé Emmanuel Macron ? Sur la forme ? Avait-il la gravité, la carrure, la hauteur de vue du président rassembleur ?

Il a fait une prestation « correcte », même si j’ai trouvé le passage sur la sécurité un peu lourd et convenu. La plupart des manifestants sont des gens raisonnables et non violent. Il n’a en tout cas pas réitéré les écarts de langage qui étaient devenu coutumiers et qui ont légitimement frappé nos concitoyens. Mais pour espérer être rassembleur, il doit encore réparer toutes les fautes accumulées depuis 18 mois.


-Et sur le fond ? A-t-il pris conscience de la gravité de la crise et apporté des réponses adaptées sur le SMIC, la CSG pour les retraités, le pouvoir d’achat ?

Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas prendre la mesure de la crise. Pour autant, les réponses apportées ressemblent à du bricolage : pour le SMIC, le choix d’une majoration de la prime d’activité est ambigu, complexe et a des effets pervers. Pourquoi pas un sérieux coup de pouce « normal » ? Pour les retraités, seuls ceux ayant un revenu fiscal compris entre 1200 et 2000 Euros sont concernés, et encore, seulement pour retrouver leur niveau de pension d’avant. Mais tous auront une retraite moins revalorisée que l’inflation ! De plus, aucun financement n’est annoncé, sauf une fois de plus des allègements de cotisations sociales qui vont encore assécher la Sécurité Sociale et amener à baisser la qualité des soins.


-Si vous étiez encore à Bercy en faveur de quelles mesures auriez-vous plaidé ?

La situation serait différente. Pour 2019, si on en est là, c’est parce que cette majorité supprime l’ISF, l’exit-tax et instaure la flat-tax sur les revenus des actionnaires (5 Milliards). C’est aussi parce qu’elle transforme le CICE qui soutient les entreprises en baisses de cotisations sociales (20 Milliards). Quand on a « cramé » 25 Milliards pour la seule année 2019, on ne peut que majorer les autres impôts et taxes sans même retrouver de quoi redistribuer. En tout cas, j’aurai plaidé pour une revalorisation du point d’indice des fonctionnaires et un retour à l’indexation des pensions et du SMIC sur l’inflation.


-Comment analysez vous la crise sociale ? Quel en est le détonateur ?

La mondialisation des échanges a conduit à une concurrence effrénée à tous les niveaux : fiscal, social, environnemental… Notre pays a perdu une partie de son avance dans certains de ces domaines. Mais le choix de s’aligner vers le bas sans toucher à certaines élites est inacceptable. D’autant que, même entamée, notre compétitivité est loin d’être négligeable. Supprimer l’ISF en même temps qu’on majorait la CSG et les taxes a été un détonateur. Présenter cela comme une mesure pour la transition énergétique a été une erreur et un mensonge. Après, la mauvaise communication a fait le reste…


-Emmanuel Macron n’a tiré aucune leçon de son élection due aux circonstances plutôt qu’à une adhésion à sa personne et à son programme. Qu’a-t-il raté pour façonner le nouveau monde qu’il annonçait ?

Je ne crois pas au passage subitement d’un monde à un autre. La preuve en est faite aujourd’hui. Ce prétendu nouveau monde avec un parti fantôme, où on ne cotise pas, où on ne vote pas, où on n’est ni de droite ni de gauche mais seulement fédérés par le ralliement à un individu, cela ne tient pas. Si la vie publique est à améliorer, c’est par le débat, l’affrontement des idées, le sens de la responsabilité, la transparence, le respect mutuel… Le culte de la personne, quelle qu’en soit la qualité, même si elle est élue au suffrage universel, ne peut remplacer le partage des valeurs politiques.


-Pourquoi selon-vous cristallise sur sa personne autant de rejet ? Peut-il s’en remettre ?

Emmanuel Macron n’a pas d’expérience exécutive locale ou régionale. Ce n’est pas une tare, mais il aurait pu se faire conseiller et accompagner par d’anciens maires, élus locaux et moins faire confiance aux milieux, le plus souvent parisiens, formatés à l’entre-soi des réseaux influents assez souvent liés à l’argent roi. Au lieu de réaliser que son élection a été aussi le fruit de circonstances particulières et au lieu de chercher à élargir son socle d’amis, il a piétiné ses concurrents, parfois même ceux qui l’ont fait roi, parfois même ceux qui partageaient certaines de ses idées. Il a voulu être seul. Il l’est… Et de plus en plus. Il y a rajouté l’arrogance et le mépris, certainement inconsciemment.  Il s’en remettra difficilement. Mais le plus grave est qu’il a accentuer le rejet populaire du peuple pour ses dirigeants. Moins que sa personne, c’est la fonction qui est mise en cause. François Hollande a été rejeté pour excès de faiblesse et trop grande normalité. On est à l’opposé, mais le résultat est le même, la colère en plus.


-Vous qui l’avez côtoyé à Bercy êtes-vous surpris par sa façon de gouverner très jupitérienne ?

Non, pas du tout. Sous des abords charmeurs et charmants, Emmanuel Macron a toujours été ferme et sans concession sur ses positions. Cela peut être une qualité, mais pas quand on est Ministre. Jamais il n’a eu le sens du travail en commun. Je me suis, plusieurs fois, rallié à des positions du Gouvernement qui n’étaient pas les miennes : dans toute équipe, il faut des majorités et les positions ne sont jamais uniformes. Lorsque, par exemple, j’étais Ministre du Budget et que mon collègue Macron à Bercy exprimait ses réserves sur l’ISF, je trouvais cela anormal. Mais, à Bercy, Ministre de la République, il a passé une grande partie de son temps à préparer son mouvement et sa candidature… Je le décris dans mon livre. J’aurais sans doute pu être plus offensif et parler plus fort à l’époque. En tout cas, j’ai averti et ai vite pris mes distances lorsqu’il a pris son envol en public. Là encore, la preuve semble être faite.


-Faut-il une bonne fois pour remettre la fiscalité à plat ?

La fiscalité doit évoluer, c’est sûr. Contrairement à l’idée reçue que le quinquennat Hollande n’a rien fait, il faut rappeler que depuis 2012, l’ISF avait été réactivé, une tranche marginale à 45% pour les revenus supérieurs à 150 000 Euros a été créée et surtout les revenus du capital avaient été soumis au barème d’imposition comme ceux du travail. Pour autant, la croissance a été retrouvée en fin de quinquennat et les créations d’emplois ont été fortes. Le déficit public a été divisé par plus que deux et la sécurité sociale a été remise à l’équilibre… Désolé de constater que depuis 18 mois, l’ISF est supprimé, les revenus du capital sont imposés par une « flat-tax » hyper-favorable, la croissance plonge et le déficit public flambe à nouveau, sans que le chômage s’améliore et que la qualité de vie des français devienne meilleure.

La progressivité de l’impôt existe dans notre pays, mais il y a encore beaucoup de complexité. Avec le temps, je préconise de suivre la recommandation : « assiette large, taux faible ». Exonérer d’impôt trop de revenus (les primes, les heures supplémentaires, les allocations, certains investissements…) oblige à avoir des taux qui amplifient les inégalités. Il est enfin urgent de clarifier le financement de la protection sociale. Baisser les cotisations dans tous les sens sans assurer les ressources finira par détruire un système que le monde entier nous envie et que les assureurs privés convoitent. Une idée ( à laquelle j’ai longuement été défavorable ) serait de fusionner les recettes de l’Etat avec elles de la Sécurité Sociale.


-Les corps intermédiaires peuvent-il aider à recoudre le pays?

Bien sûr, l’expérience montre que l’organisation collective ne peut que canaliser les débats. A chacun de s’y engager. Passer quelques heures sur les réseaux sociaux ne remplace pas un dialogue direct entre citoyens désireux de réfléchir et de construire ensemble


- Les grands partis d’opposition ne sont guère audibles ? Politiquement qui tire bénéfice de la crise ? La France Insoumise avec laquelle le PS s’allie pour déposer une motion de censure ? Le Rassemblement national ?

A terme, tout le monde perdra. La coupure entre les partis et les citoyens est mortifère pour la vie démocratique. Certes les valeurs politiques ne sont pas binaires et traversent parfois la notion gauche/droite. Pour autant, les différences ne sauraient être gommées au motif que les uns auraient moins bien ou mieux réussi que les autres. Avec ses insuffisances, la France est jusque là restée une grande démocratie (modèle des valeurs humanistes pour bien d’autres pays du monde). Avec ses faiblesses, elle est toujours une forte puissance économique. Même perfectibles, ses forces militaires comptent dans un monde parfois explosif. Alors pourquoi vouloir systématiquement considérer que les femmes et les hommes politiques qui ont dirigé le pays sont nuls depuis des décennies et qu’un dieu sauveur viendra tout régler ?


-On n’entend pas beaucoup le PS, pourquoi cet effacement ?

Le PS est sonné. Il a été « dégagé » et cela doit être pris en compte. Il a aussi été trompé et le Président actuel s’en est servi comme tremplin avant de le crucifier. Comme tous ceux qui se font berner, le PS a sa part de responsabilité parce qu’il a prêté le flanc et a lui-même engendré celui qui l’a jeté après emploi. Maintenant, les rapports de force, y compris les quotas dans les médias, rendent peu audibles les socialistes qui veulent incarner la gauche « responsable » qui manque à notre pays.


-Les origines de ce mouvement de fond viennent de très loin, pensez-vous que le quinquennat de François Hollande porte sa part de responsabilité ?

Sans aucun doute. On ne peut exercer le pouvoir 5 années durant, avec d’ailleurs des relais locaux expérimentés, et dire qu’en 18 mois nos successeurs ont engendré le chaos. Pour autant, j’ai pour ma part peu d’erreurs flagrantes en tête dans les domaines que je connais le mieux. A refaire, je reviendrai sur la suppression de Sarkozy de la demie-part des veuves, j’aurais réformé les dotations entre l’Etat et les collectivités locales car leur répartition pose en fait plus de questions que leur volume global, j’aurais été plus patient dans nos exigences de retour à l’équilibre dans le domaine de la santé….


-Parlons de l’Europe, l’affaiblissement du président de la République à l’intérieur réduit-il à néant sa capacité d’influence ?

Sur le plan international, la communication Macron a été insupportable, avec une complicité outrancière des médias ! La vigueur d’une poignée de main avec Donald (Trump !), un accueil de l’un à Versailles, de l’autre à la tour Eiffel, des propos insensés : « La France est de retour » (Elle était partie ?). 18 mois plus tard, les USA ont dénoncé les accords de Paris sur le climat, les accords sur le nucléaire iraniens et taxent tous azimuts les produits importés chez eux. Tous les dirigeants appellent Macron à plus de modestie suite à ses difficultés internes et la France est moquée à l’étranger. On est d’autant moins influent que l’on a cru se sentir excessivement fort. Je le regrette, mais Emmanuel Macron vit là les affres de ses prédécesseurs en Europe.


-Vous étiez candidat pour conduire la liste du PS aux européennes ? C’est toujours d’actualité ?

Non. Le renouvellement passe par des changements de personnes. Je reste engagé, mais à priori pas pour occuper un poste. Mais j’évite de dire jamais… Et toujours…


-Redoutez-vous qu’en juin prochain une déferlante des partis populistes sorte des urnes ?

Oui, même si le mot populiste devient galvaudé. Clairement le Rassemblement National est pour moi un adversaire, un danger. D’autres partis dits populistes (je pense bien sûr à La France Insoumise) n’ont pas les même excès. Jean Luc Mélenchon emmène les gens dans une impasse. C’est dangereux, mais cela a pu m’arriver aussi de promettre l’irréalisable… C’est sans comparaison avec ceux qui prônent des valeurs de rejet des autres et des violences pas seulement verbales.


-La région Grand Est répond-elle aux impératifs de la réforme voulue par François Hollande ? Est-elle assez puissante et suffisamment visible ?

Elle se cherche encore, et c’est un euphémisme. La réforme des Régions n’a pas été ce que l’on a fait de mieux. Deuxième euphémisme… Surtout chez nous. Les relations avec le Luxembourg stagnent et c’est un troisième euphémisme. Pour le Pays-Haut, Monsieur Darmanin avait promis de venir il y a un an… Pas venu. Le Préfet de Région, mandaté par Jacques Mézard, alors encore Ministre, devait faire des propositions en septembre. Rien lu sur le sujet. Par contre l’Alsace est promise à s’unir avec des compétences nouvelles. Bien curieux tout cela…


-L’unification alsacienne et les compétences qui vont être attribuées à ce département compromettent-elles la cohérence de la Région et son existence

En posant la question, vous soulignez les risques. La relation Moselle - Meurthe et Moselle sera vitale. Quelques progrès ont été faits, mais cela reste largement à construire. La Région Lorraine y contribuait. La Région Grand-Est ne le fait pas. De là à revenir en arrière sur les Régions nouvelles, je n’y crois guère.

 
-Votre regard sur l’avenir ?

Les atouts de la France sont importants. Donc la crise de confiance en ses élites qu’elle traverse (elle n’est pas la seule à connaitre cela) sera surmontée. Plus de modestie et d’écoute des uns et plus de compréhension de tous pourra y contribuer. Les transformations du monde s’accélèrent. Pour autant, des repères stables sont nécessaires. La France peut en être un. Et la vraie modernité est de rester fidèle à de vieilles et belles valeurs dans un monde en mouvement. Si c’est être ringard, je le revendique !

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Comprendre le CICE et ne pas faire la bascule... Des Milliards pour répondre aux besoins...

7 Décembre 2018 , Rédigé par Christian Eckert

Avec prudence et sans prétention, je souhaite ici informer, expliquer et tenter de convaincre, même si je sais que c’est un sujet difficile, sensible et sur lequel beaucoup ont malheureusement souvent des idées préconçues…

 

Il faut rappeler le contexte et plusieurs règles.

 

Le contexte :

 

Nous sommes fin 2012. Le Gouvernement Ayrault a fait face aux urgences budgétaires, pressé par les marchés financiers, Bruxelles et les engagements pris. L’audit financier du pays a confirmé l’ampleur des déficits et des impasses. Nous avons peu mis cet audit en avant pour ne pas affoler davantage les marchés et renchérir les taux d’intérêts. Le déficit public annuel est supérieur à 150 Milliards, loin des 3% qui sont la règle dans l’Union. Les archéologues diront un jour si c’est plus la faute à la crise ou plus à la politique Fillon-Sarkozy. Peu importe, c’est un fait… Se souvient-on que l’Euro est alors très fragile, que sa disparition est évoquée et que la France est citée parmi les pays les plus concernés après la Grèce et les pays dits du Sud…

 

Louis Gallois, un dirigeant d’entreprise reconnu (plutôt de gauche…) remet en novembre 2012 un rapport au Gouvernement sur la situation des entreprises et confirme la grave perte de parts de marché des industries françaises. Parmi les causes, il souligne la faiblesse française de la « compétitivité-coût » (le poids excessif de la main d’œuvre essentiellement), face à la concurrence internationales dans un environnement aujourd’hui totalement ouvert. Il préconise un soutien massif aux entreprises, proposant par exemple des réductions de cotisations sociales. Il évoque un besoin de 40 Milliards annuels. Or, l’Etat n’a aucune marge, la croissance est atone et le pays est impatient de sentir le changement de majorité !

 

Aider les entreprises par la subvention ne peut qu’être exceptionnel et limité :

 

Que l’on soit d’accord ou pas, le principe européen de concurrence libre et non faussée existe et s’impose à la France. Il est donc impossible d’envisager (quand bien même on en aurait eu les moyens financiers) de soutenir nos industries comme le rapport Gallois en avait démontré le besoin par des subventions. Les subventions aux entreprises sont très encadrées. Elles doivent être limitées à un montant plafonné. Elles doivent être adossées à des motifs précis (certains investissements, de la formation, de l’innovation…). Elles peuvent dans certains cas concerner des secteurs géographiques précis (zones en conversion, zones fragiles, outre-mer…). Mais en aucun cas l’Europe n’accepte que des aides aux entreprises soient régulières et générales. Le levier qu’utilisent donc tous les pays pour soutenir les entreprises est donc la plupart du temps l’allègement de leurs impôts et/ou la diminution de leurs cotisations sociales.

 

L’annualité de l’impôt pour les entreprises et pour l’Etat impose le choix :

 

En matière d’impôts, pour les entreprises (comme pour les particuliers avant le Prélèvement à la Source), les impôts dus au titre des bénéfices d’une année N sont payés au Trésor Public l’année N+1. Mais dans les comptes des entreprises, ils sont rattachés à l’année N pour faire le résultat net. Par contre l’Etat comptabilise la recette l’année N+1. Il en va évidemment de même des Crédits d’Impôt.

 

Par contre, les cotisations sociales appliquées aux salaires sont immédiatement (ou presque) versées. Ce que les entreprises doivent et paient au titre de l’année N est compté la même année N pour l’Etat.

 

Or, nous voulons décider une mesure rapide (pour 2013) destinée à soutenir les entreprises. Réduire massivement dès 2013 les cotisations sociales « plomberait » lourdement le budget 2013 déjà très difficile à construire.

 

L’idée vient donc alors assez naturellement de soutenir l’économie par un Crédit d’Impôt accordé dès 2013. Les entreprises l’auront dans leurs comptes dès 2013. L’Etat n’enregistrera cette perte de recettes (assimilée à une dépense) qu’en 2014 ! Ce décalage se reproduisant tous les ans…

 

L’effet pour les entreprises :

 

D’un point de vue comptable, au niveau du résultat net, une réduction de cotisations ou un crédit d’impôt, cela revient au même, pour peu que le montant tienne compte de la majoration de l’impôt sur les sociétés que la réduction de cotisation peut introduire… Seule la trésorerie est différente. Le crédit d’impôt n’est perçu qu’avec retard. C’est la raison pour laquelle, essentiellement via la Banque Publique d’Investissement, une avance à très faible coût a été mise en place.

 

Au début, des voix se sont plaintes de la complexité du dispositif. A l’aide des experts comptables et de nos administrations, à l’usage, tout le monde a reconnu que le dispositif était simple. Il suffit de prendre comme assiette les salaires inférieurs à 2.5 SMIC, calculés de la même manière que pour les cotisations sociales. Le montant du CICE est (en 2018) de 6% de cette assiette. Autour de 1 000 Euros par salarié concerné. Un total annuel en année pleine de l’ordre de 20 Milliards.

 

Le principe d’égalité devant l’impôt :

 

S’agissant d’un crédit d’impôt au titre de l’impôt sur les sociétés, le CICE ne peut évidemment concerner que les entreprises redevables de cet impôt. De fait, en sont donc exclues les associations, les mutuelles, les coopératives, le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS), le secteur public... D’où une première série de difficultés traitées au fil du temps : une clinique (ou un EPAHD) relevant du secteur privé s’est vue gratifiée du CICE. Un hôpital public (ou associatif) ayant la même activité n’y était pas éligible. Le secteur reste pourtant concurrentiel ! Nous avons donc joué sur la tarification des actes pour gommer cette brutale distorsion de concurrence. Nous avons ensuite introduit pour le secteur de l’ESS et associatif, un crédit de taxe sur les salaires du même ordre que le CICE.

 

Dans le même ordre d’idée, un crédit d’impôt doit, comme la constitution le prévoit pour l’impôt, respecter le principe d’égalité devant la charge publique. Seul un motif d’intérêt général peut introduire des différences de traitement. C’est intangible et heureusement : un impôt sur mesure au gré du contribuable serait la porte ouverte à toutes les compromissions ! Il est vrai que certains pays, y compris dans l’Union, ont pratiqué cela outrageusement pour attirer les multinationales. Mais le Conseil Constitutionnel est inflexible en France sur ce point et c’est légitime.

 

Pourtant, le respect de ce principe a engendré bien des critiques du CICE : toutes les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés devaient pouvoir en bénéficier. Certains auraient voulu réserver cette aide aux petites, d’autres à celles qui embauchent, d’aucuns à celles soumises à la concurrence internationale (encore aurait-il fallu les définir…). Certains voulaient exclure la grande distribution, La Poste, Les banques, les entreprises qui licenciaient, celles qui versaient des dividendes. Si ces arguments pouvaient se comprendre, tous nos juristes analysaient ces restrictions comme contraires à la constitution ! Le Gouvernement a donc décidé d’assumer ce défaut de ciblage, qui d’ailleurs aurait été parfaitement identique si nous avions choisi l’option diminution de cotisations.

 

Enfin l’utilisation du CICE par les entreprises a elle aussi fait l’objet de longs débats. Identifier l’emploi de CICE par les entreprises, au milieu de toutes ses activités est illusoire et peut donner lieu à toutes les interprétations.

 

La pérennité du CICE ou des exonérations de cotisations, la « bascule » envisagée:

 

Que n’a-t-on entendu comme bêtises sur ce sujet ! Le discours du MEDEF affirmait sans arrêt qu’un crédit d’impôt pouvait disparaitre du jour au lendemain, mais pas des exonérations de cotisations sociales (eux disent... allègements de charges). Les impôts et leurs modalités sont fixés tous les ans par le Parlement dans une loi de finances. Les cotisations sociales et leurs caractéristiques sont fixées tous les ans, à la même époque, par le même Parlement, dans une loi de financement de la sécurité sociale qui répond aux mêmes règles !

 

On peut changer les impôts dans une loi de finances à tout moment. Les cotisations sociales aussi. Ni plus , ni moins…

 

En vérité, le rêve de certains est d’assécher le financement de la Sécurité Sociale pour mettre le secteur privé des assurances aux commandes d’un budget colossal !

 

Il est d’ailleurs symptomatique de pointer le projet de ce Gouvernement et ses conséquences pour les finances publiques : Le Gouvernement supprime le Crédit d’impôt en 2019 et le remplace par des exonérations de cotisations en 2019 (qu’il prend soin de préciser « pérennes » dans ses éléments de langage…). On comprend alors que pour l’Etat, en 2019, la dépense est double et s’élève à 40 Milliards au lieu de 20, soit 0,9% du PIB… En effet, en 2019 il faudra payer les crédits d’impôt acquis au titre de 2018 et se priver des cotisations exonérées dès 2019 ! Le choix du crédit d’impôt avait fait gagner un an à l’Etat alors qu’il n’avait pas le moindre argent… La « bascule » lui fait subir une année double et le prive des quelques marges aujourd’hui disponibles…

 

Et ceci avec une nouveauté incroyable : pour la première fois à ma connaissance, les exonérations de cotisations ne seront pas compensées par l’Etat à la Sécurité Sociale. La machine à privatiser est bel et bien en route !

 

En conclusion : Même si en économie et en fiscalité les certitudes sont moins fréquentes qu’en Mathématiques, j’ai acquis la conviction qu’il fallait dès la fin 2012 aider les entreprises dont globalement la santé était très mauvaise. Après avoir eu des doutes que j’ai exprimés d’ailleurs fortement comme rapporteur général à l’époque, j’ai compris que le choix du crédit d’impôt était le bon. Le manque de ciblage était certes un point très faible, mais le gain d’une année budgétaire l’emportait sur le reste. La « bascule » qu’Emmanuel Macron a déjà maintes fois réclamé quand il était Ministre, entraîne un risque énorme pour l’avenir d’une Sécurité Sociale que le monde entier nous envie et que les vautours attendent impatiemment. Il veut la mettre en œuvre en tant que Président. Après l’ISF, la flat-tax, l’exit-tax, cette nouvelle casse terrible d’un outil de justice essentiel lui coutera cher.

Mais n’a-t-il pas été mis en place pour cela ?

 

Ne pas faire "la bascule du CICE, c'est se donner des moyens pour boucler la Loi de Finances et répondre aux attentes sociales. Et préserver notre modèle social.

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Introspection fiscale...

6 Décembre 2018 , Rédigé par Christian Eckert

Quand l’opinion ne parle plus que des impôts, que le pays frise l’insurrection et que l’on a été de 2012 à 2017 un des acteurs des choix budgétaires et fiscaux dans ce domaine, on se doit de s’interroger sur ses propres responsabilités. La petite musique insidieuse du clan des macroniens qui rejette les responsabilités sur les autres et ne cesse de parler de dizaines d’années de non-décisions ne peut que nous y pousser davantage.

 

Le pays semble s’accorder pour dire que le principe de l’impôt n’est pas remis en cause, mais que c’est la répartition inégale de la contribution qui pose problème.

 

Il s’agit de deux questions différentes qui méritent chacune quelques réflexions, sans prétention et avec l’humilité qui est de mise face à un sujet aussi complexe.

 

Le volume global de l’impôt serait en France très élevé : C’est vrai, et il faut au moins l’expliquer, avant de s’en féliciter ou de s’en plaindre. En premier lieu, relevons que la notion d’impôt doit être comprise en ajoutant aux impôts directs et indirects,  les cotisations obligatoires et les taxes diverses et variées, fruits de l’histoire fiscale de notre pays. Ainsi, la France ayant principalement une gestion publique et collective des retraites, les cotisations retraites (en fait du salaire différé) sont comptées dans les prélèvements obligatoires. Ce n’est pas le cas dans la plupart des autres pays. C’est là une des causes du fait que la France a un taux de prélèvements obligatoire très élevé. L’assurance maladie exceptionnelle en France est aussi à remarquer. Dans bien des pays, la couverture « maladie » est individuelle et facultative. Enfin, avec leurs insuffisances qu’il n’est pas question de négliger, les services publics souvent gratuits sont nombreux. Les contribuables français devraient connaître le prix de l’école aux Etats-Unis, même à l’école primaire, lorsqu’ils reçoivent leurs avis d’imposition. La France ayant de plus une tradition et une volonté d’avoir une force armée qui compte dans le maintien des équilibres du monde, en assure quasiment seule le financement au milieu de pays qui ne le font pas ! Ces choix essentiels (protection sociale inégalée, éducation le plus souvent gratuite, forces armées opérationnelles…) sont des options politiques et doivent trouver leurs financements ou être remis en cause. Cela n’exclut en rien la recherche d’économies, mais avec une population qui augmente, vit plus longtemps et se soigne plus et plus cher, les limites sont vite atteintes.

 

Le partage des charges publiques serait inégalitaire : C’est assez vrai, et en tout cas s’est fortement aggravé récemment. Le partage des charges publiques doit d’abord se faire entre entreprises et particuliers. Ces dernières années, beaucoup de contributions ont été reportées des entreprises vers les particuliers. C’est essentiellement la conséquence de la mondialisation des échanges, de l’ouverture des frontières et de la fin des protectionnismes. La concurrence ainsi exacerbée a conduit à réduire les coûts et les allègements de cotisation ou des impôts des entreprises ont été pratiqués probablement au-delà du raisonnable. Le dumping fiscal entre pays, aussi omniprésent qu’insupportable, y a également largement contribué. Qu’il n’y ait pas (alors que c’est la cas pour la TVA) de seuil minimal, en Europe au moins, d’impôts sur les sociétés est aberrant. Concernant les personnes, si une remise à plat est toujours souhaitable, les évolutions des dernières années sont révélatrices des politiques conduites :

Ainsi, de 2012 à 2017, même si d’aucuns ont reproché à François Hollande l’absence de « révolution fiscale », plusieurs mesures essentielles ont été prises :

  • Une tranche d’impôts sur le revenu à 45% au delà de 150 000 Euros a été instaurée.
  • L’ISF, très largement édulcoré par Nicolas Sarkozy a été remis en place.
  • Les revenus du capital (intérêts, dividendes, plus-values…) ont été imposés au même barème que les revenus du travail.
  • Les bénéfices du quotient familial ont été plafonnés pour les plus hauts revenus.
  • Pendant deux ans, les revenus supérieurs à 1 million d’Euros ont été taxés à 75%.
  • La hausse de TVA programmée et votée par nos prédécesseurs a été supprimée.

Par contre, la suppression de la demi-part dite des veuves (décidée par Nicolas Sarkozy) n’a pas été remise en cause, et la défiscalisation des heures supplémentaires a été supprimée.

 

Le déficit public, qui s’élevait à plus de 150 Milliards par an à notre arrivée, est passé à environ 60 Milliards fin 2017.

 

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron : les principales mesures fiscales décidées ont été diamétralement opposées :

  • L’ISF a été supprimé et remplacé par un impôt immobilier qui rapporte 4 fois moins.
  • Les taxes sur les carburants ont été fortement relevées et devaient l’être à nouveau début 2019.
  • Les revenus du capital sont soumis à une flat tax qui les impose sur le revenu moins que les salariés à peine au dessus du SMIC.
  • L’exit tax qui dissuadait de l’évasion fiscale a été supprimée.
  • 8 millions de retraités ont vu leur CSG augmenter.
  • La taxe d’habitation a été minorée au plus de 30% pour 80% des contribuables. On ne sait pas par quoi elle sera remplacée pour assurer le financement des budgets communaux.
  • Les traders vont être exonérés d’impôts plus et plus longtemps.
  • Le CICE versé pour soutenir les entreprises est transformé en allégements de cotisations provoquant un coup budgétaire de 20 Milliards pour la seule année 2019.

 

Cette comparaison, sans doute non exhaustive, ne saurait effacer le sentiment tellement présent que le quinquennat de François Hollande a été jalonné d’occasions manquées. C’est derrière nous et les élections sont passées depuis 18 mois. Mais les députés de la majorité (moutons-macron) seraient bien inspirés de revoir leur copie pour la loi de finances qu’ils vont examiner en catastrophe et sous la pression dans quelques jours ! Faute de quoi, je crains le pire… Pour eux et pour les institutions.

 

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