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Comment ils vont tuer la Sécu !

27 Juin 2019 , Rédigé par Christian Eckert

 

Les commentaires sur les comptes publics sont inversement proportionnels aux déficits ! Le Gouvernement traverse une accalmie liée à plusieurs facteurs favorables. Entre autres, la baisse ininterrompue des taux d’intérêts (quasiment 0% à 10 ans et négatifs sur des durées plus courtes !) lui permet d’économiser plusieurs Milliards pourtant budgétés sur les intérêts. Qui s’en plaindrait…

 

Pour autant, les discours sur la Sécurité sociale, son financement et sa viabilité vont bon train. Les idées reçues, les poncifs et les intoxs sont innombrables. Avec humilité, mais aussi une expérience de parlementaire et de membre du Gouvernement en charge des finances avec ma collègue des affaires sociales, je me dois de partager quelques réflexions :

 

Après des années de déficits parfois considérables, le régime général de la Sécurité Sociale vient, depuis deux ans, de rejoindre quasiment l’équilibre ! Et la dette de la Sécurité Sociale logée à la CADES sera remboursée intégralement à échéance d’environ 4 ans. La fin du trou de la Sécu est, ou plutôt était, à portée de main.

 

Ceci n’est pas arrivé par hasard et explique en partie les difficultés dans certains secteurs, notamment la médecine hospitalière, à l’hôpital public ou dans les EHPAD. Les contraintes sur les tarifs, réductions de personnels, diminutions capacitaires, commencées sous le quinquennat « Hollande » et poursuivies après ont permis ce retour vers l’équilibre. Mais elles ont aussi pesé sur les personnels et la qualité de certains services, comme en témoignent les mouvements dans les urgences ou les EHPAD. Cet équilibre retrouvé doit aussi beaucoup aux réformes sur les cotisations retraites décidées sous différentes majorités et à l’augmentation de la masse salariale (assiette des cotisations sociales) constatée depuis 2016.

 

Ces marges de manœuvre retrouvées devraient permettre d’assouplir les contraintes, notamment à l’hôpital public et par exemple de prendre en charge enfin dignement la condition des personnes âgées dépendantes dont le nombre augmente considérablement. La fin de la CADES devrait permettre de réaffecter pas loin de 20 Milliards d’Euros d’ici quelques années !

 

Mais le Gouvernement semble en décider autrement et fait repartir les déficits en remettant en cause le principe majeur qui assure la pérennité du système social : « L’Etat doit compenser à la Sécurité Sociale tous les allègements de cotisations sociales qu’il décide ».

 

A sa création, la Sécurité Sociale était financée presque uniquement par des cotisations sociales. L’ouverture des frontières et la concurrence internationale ont conduit tous les gouvernements à alléger le coût du travail, composante du prix des productions, pour rester compétitifs face aux produits venant de pays sans protection sociale. Mais à chaque baisse de cotisations, il était « en même temps » décidé de compenser à la Sécu les pertes de recettes, par des parts recettes fiscales auparavant encaissées par l’Etat… Ainsi, de nos jours, les cotisations ne représentent qu’en gros les 2/3 des recettes de la Sécurité Sociale, le reste étant des impôts, directs ou indirects, (fractions de TVA et de CSG, taxes diverses…).

 

Les derniers textes budgétaires votés sont formels : les baisses massives de cotisations sociales, notamment celles destinées à la bascule du CICE (20 Milliards !) ne seront plus intégralement compensées à la Sécurité Sociale. Pire, les compensations issues du passé sont remises en cause progressivement…

 

C’est un fait sans précédent dans les lois de finances pour 2019 et programme la fin de notre modèle fondé sur la solidarité.

 

Il est indiscutablement nécessaire de faire évoluer le financement de notre système social. Différentes options existent : cotisations, impôts, CSG, TVA…. Le débat politique, un temps amorcé sur ce sujet majeur, a été trop tôt refermé sans conclusion. Le Président n’a pas reçu de mandat sur ce point lors de son élection. Pour autant, la plupart des décisions prises depuis son élection taillent dans les recettes sociales sans aucune compensation. Ces décisions asphyxient un système social qui peut fonctionner, pour pouvoir le déclarer non viable et l’ouvrir aux appétits des assureurs privés.

 

A l’aube d’une réforme annoncée de la branche « retraite », un vrai débat sur les options de financement est urgent sans dogmes ni tabous.

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Le football, on y met un pognon de dingue !

18 Juin 2019 , Rédigé par Christian Eckert

Sur le conseil de mon éditeur, après en avoir discuté, j'avais accepté de retirer de mon livre "Un Ministre ne devrait pas dire ça..." paru chez Robert Laffont il y a un an, un chapitre consacré au football.... Je le regrette un peu....Michel Platini est né et a passé son enfance à Joeuf, ville située dans la circonscription dont je fus le représentant à l'Assemblée Nationale. L'actualité n'incrimine pas seulement cet homme, qui nous a fait connaître comme joueur d'intenses émotions. Il faut laisser la justice faire son travail et l'intéressé se défendre.

Mais l'argent est à l'évidence trop présent dans le monde du football. Je pourrais - peut être le ferai-je plus tard - parler de la TVA sur les entrées, de la fiscalité des joueurs, de l'imposition (Lol...) des revenus tirés du droit à l'image.... Comme le disait pudiquement mon éditeur, "c'est trop technique et cela n'intéressera pas les lecteurs...". Mais en lisant ce matin un article sur les conditions d'attribution du Mondial 2022, il me parait utile de republier le chapitre fantôme consacré au football et traitant plus particulièrement de l'Euro 2016 :

 

 

 

Dans ma jeunesse, j’allais régulièrement voir les matches de football. Le FC Metz était mon équipe favorite, et je ne ratais aucun match. Pour quelques francs, avec quelques amis, nous achetions des billets catégorie « populaires » : des places debout, non couvertes, dans un virage. Avec drapeau, casquette grenat et corne de brume, on supportait cette équipe moyenne, mais régulière en ligue 1. L’équipe comptait encore dans ses rangs bon nombre de joueurs issus des clubs amateurs  environnants, devenus pro à la sortie de l’école de foot de Metz.

 

Aujourd’hui, je ne regarde quasiment plus de football. J’ai l’habitude de dire que j’ai « divorcé » avec le foot ! A Bercy, j’en ai trop vu sur l’argent du foot… Un pognon de dingue ! Un seul exemple :

 

Peu après mon arrivée à Bercy, mon cabinet me soumet une note sur l’Euro 2016. Pourquoi le Secrétaire d’Etat au Budget doit-il s’occuper de l’Euro 2016, sinon pour savoir quelles dépenses, notamment pour la sécurité, doivent être engagées pour cet événement important, et surtout par qui elles doivent être supportées ?

 

La note que j’ai sous les yeux soulève en fait beaucoup de questions très au-delà de la gestion des dépenses liées à l’Euro 2016.

 

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le monde du sport et surtout celui du football attire mon attention. Ce fut le cas de la fameuse taxe à 75% sur les très hauts salaires, annoncée au Bourget par le candidat Hollande et dont la mise en place touche évidemment bien des vedettes du sport. Ce fut aussi vrai lorsque nous avons travaillé sur la taxe sur les spectacles ou sur l’assujettissement à la TVA des billets d’entrée aux stades.  L’abondement du Fond National de Développement du Sport (FNDS) par une part du produit de jeux faisait régulièrement l’objet des convoitises des lobbies sportifs. La fiscalité des primes versées aux joueurs par les clubs était tous les ans l’objet de demandes d’allègements, comme si les montants de plus en plus vertigineux le justifiaient… A chaque fois, de judicieux amendements ont été discrètement adoptés pour préserver les gros clubs de foot et les salaires extravagants des joueurs...

 

Ces serpents de mer pouvaient à tout moment se transformer pour moi en couleuvres à avaler, tant il est vrai que les lobbies de l’économie du sport sont parmi les plus puissants. Les loges des stades regorgent de parlementaires, de Ministres, de membres de cabinets ministériels, de PDG. Les invitations qui leur sont adressées sont bien sûr aussi désintéressées que gratuites et appréciées…!

Dans les allées de Roland Garros, descendant de la tribune où j’avais payé mes places, j’ai croisé bien des collègues sortant des prestigieuses loges réservées par les grandes entreprises pour accueillir leurs « clientèle ».

 

Mais ce jour là, à la note qui arrive sur mon bureau sont jointes les copies de deux lettres signées par deux de mes prédécesseurs d’avant 2012, Eric Woerth et François Baroin. Ces deux courriers, adressées en leur temps à l’U.E.F.A. engagent notre pays à « exonérer d’impôts les structures participant à la réalisation de l’Euro 2016 ». C’est bien là le sujet du jour. Faut-il tenir cet engagement, et si oui, de quelle façon ?

 

Les notes adressées aux Ministres sont toujours d’une qualité exceptionnelle. Dans celle-ci sont comme d’habitude traités tous les aspect du sujet :

 

Bien sûr il y est rappelé que sans cet engagement, l’U.E.F.A n’aurait peut-être pas choisi la France. Il parait que tous les pays pratiquent cela. Le Ministère des sports rappelle à vau-l'eau que les millions de touristes, déferlant dans les restaurants, les hôtels et les villes organisatrices, génèrent du chiffre d’affaire, donc des recettes pour l’Etat dont une grosse part de TVA. Comme toujours, on nous explique qu’en supprimant des impôts, l’Etat sera gagnant. Je n’y crois guère. 

 

Quels impôts et quelles structures sont concernés ? L’impôt sur les bénéfices des sociétés organisatrices (créées d’ailleurs à cet effet) évidemment. Mais qu’en est-il des entreprises ayant construit les stades ? Quid de la TVA ? Comment traiter les primes des joueurs ? Une interprétation large des lettres des Ministres ouvre toutes les boîtes de Pandore possibles. J’y suis évidemment très réticent.

 

Comment procéder ? L’option la plus simple, mais la plus « baroque », consiste à donner instruction à l’administration d’exonérer d’impôt sur les sociétés certaines entreprises. Une telle instruction du Ministre, quelle qu’en soit la justification, serait passible de la Cour de Justice de la République, et heureusement ! Le pouvoir discrétionnaire du Ministre à ordonner l’impôt ou à l’exonérer n’existe pas. Seul le Parlement décide de l’impôt et cela figure explicitement dans notre constitution. Le Ministre et son administration doivent ensuite appliquer la loi. Il est exclu d’entrer dans ce genre de démarche.

 

Faut-il mettre en œuvre les folles promesses de ce courrier ? Les juristes du Ministère soulèvent le risque de voir l’U.E.F.A. déclencher une procédure « de manquement à la parole de l’Etat » si nous n’honorons pas les engagements de nos prédécesseurs. Une lettre d’un Ministre en exercice, même imprécise (c’est le cas), même sans fondement juridique (c’est aussi le cas) engage l’Etat dans la continuité. Elle crée pour son destinataire une espérance légitime qui pourrait créer un droit à indemnisation, en cas de non respect des assurances de l’Etat formulées dans un courrier signé d’un Ministre.

 

L’U.E.F.A. a écrit, et demande des précisions claires sur le périmètre de cette remise d’impôts et de taxes. Le Ministre des Sports, son Secrétaire d’État et les innombrables amoureux du football à tous les niveaux de la République pressent Bercy de s’exécuter. On attend de nous un « rescrit », c'est-à-dire une description précise, engageant juridiquement l’État sur la manière dont les services fiscaux traiteront avec la bienveillance promise les sociétés figurant dans le document.

 

Mes prédécesseurs directs, Jérôme Cahuzac et Bernard Cazeneuve ont toujours refusé de signer une instruction pour que l’administration agisse sur le sujet. Il est bien sûr également inconcevable pour moi d’ordonner à mon administration d’exonérer d’impôt, quelle qu’en soit la raison, sans fondement juridique, une ou plusieurs sociétés. Un Ministre du Budget, bafouant le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt serait à jamais discrédité et probablement condamné. Mais une solution doit être trouvée, puisque des Ministres, certes avant 2012, ont engagé l’État. Une réunion est donc organisée avec mon cabinet.

 

Nous convenons que dans une loi de finances, je propose au Parlement d’adopter une disposition législative. Pour une durée limitée, seront exonérées d’impôt sur leurs bénéfices les sociétés organisatrices de certains grands évènements sportifs. La liste de ces manifestations est renvoyée à un décret pris en Conseil d’Etat. Outre l’Euro 2016, cinq autres compétitions (le Championnat d'Europe de basket-ball masculin 2015, le Championnat du monde de handball masculin 2017, le Championnat du monde de hockey sur glace masculin 2017, la Ryder Cup et la Ryder Cup Junior 2018, la Coupe du monde féminine FIFA 2019) répondront aux critères dictés par la loi. Les J.O. de 2024 rentreront aussi dans cette catégorie puisque la France a été choisie.

 

Au Parlement, les débats s’enflamment vite. Le jour de la présentation de cet article de la loi de Finances, les défenseurs du sport ont fort à faire pour obtenir le vote majoritaire. Au banc du Gouvernement, je suis exceptionnellement flanqué de Patrick Kaner, entre autres Ministre des Sports. A droite comme à gauche, les avis sont divers.

 

Les arguments des opposants ne manquent pas de bon sens. Pourquoi les seules manifestations sportives, et pas les manifestations scientifiques ou culturelles ? Ce type d’exceptions ne s’apparentent elles pas aux rullings (l’impôt négocié sur mesure par un État avec telle ou telle entreprise) que nous dénonçons lorsqu’ils se pratiquent au Luxembourg ou ailleurs ? La concurrence fiscale entre les pays n’entraine-t-elle pas au dumping toujours globalement perdants pour les États ? C’est évidemment là le cœur du sujet.

 

Nous hurlons chaque fois que le Luxembourg ou l’Irlande fait un pont d’or fiscal à une entreprise pour l’attirer chez eux. Et là, s’agissant par ailleurs d’un milieu où l’argent coule à flots à ce niveau, nous ferions à peu près la même chose… Je ne mêle pas trop du débat dont je devine l’issue favorable en regardant les députés présents…

 

Les sportifs l’emportent finalement assez facilement. J’ai scrupuleusement tenu la position du Gouvernement, avec une ardeur mesurée. Patrick Kaner aura été plus enthousiaste, et remerciera longuement le Parlement (et en privé le Secrétaire d’État au Budget dont il connaissait les réserves).

 

Plus tard, des rapports plus ou moins objectifs souligneront combien l’événement aura été bénéfique pour les finances du pays. Je n’y crois qu’à moitié. Par contre, j’ai une certitude : cela aura été bénéfique pour l’U.E.F.A.. Qui a par ailleurs d’autres turpitudes liées à l’argent. Élu de la circonscription où Michel Platini a vécu son enfance et a fait ses premiers matchs, j’ai observé de près les opérations financières de l’UEFA !

 

Au moment de l’Euro 2016, Le Ministère des sports, pour gérer l’afflux des demandes d’invitations aux compétitions, a écrit à tous les Ministres pour leur demander de signaler les matches auxquels ils souhaitaient - en fonction des disponibilités - être invités. Je n’ai pas répondu et n’ai assisté à aucune rencontre.

 

Depuis, avec les Qataris et les Millions de Neymar, le football a encore pris une nouvelle dimension. Au moment où le gouvernement rognait 5 Euros sur toutes les APL perçues pour économiser une centaine de Millions d’Euros en 2017, le club « français » du Paris Saint Germain payait 220 Millions pour faire venir un seul joueur payé ensuite 30 Millions d’Euros par an. La classe politique n’a que très peu réagi, sauf pour parfois s’en féliciter. Mon successeur, sans doute mal renseigné sur le statut des impatriés, a même applaudi en comptant (de travers) les impôts et les cotisations sociales soit disant engrangés par l’Etat, et payés par… les spectateurs.

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SOS

10 Juin 2019 , Rédigé par Christian Eckert

On parle beaucoup du groupe SOS suite à la démission du directeur de l’hôpital de Mont Saint Martin.

Je recommande la lecture attentive de l’article ci dessous, de décembre 2018 paru dans Le Monde.

Plus que troublant....

C’est un portrait de Jean Marc Borello :



Ce proche d’Emmanuel Macron préside aux destinées du groupe SOS d’économie solidaire dont le chiffre d’affaires frôle le milliard.....



Et un hôpital de plus ! Le neuvième à tomber dans l’escarcelle de SOS. Le groupe français d’économie sociale a annoncé, début novembre, la reprise du centre médical La Source, à Saint-Léger-les-Mélèzes (Hautes-Alpes). Au même moment, à Marseille, il a été choisi par la ville pour restaurer et exploiter durant quarante ans le fort d’Entrecasteaux, un site militaire du XVIIe siècle fermé depuis des années. Dans un ou deux ans, il devrait être transformé en lieu d’innovation culturelle. A la clé, 300 emplois, notamment pour des jeunes en difficulté.



C’est encore le Groupe SOS qui a été désigné, en septembre, par le gouvernement pour prendre en charge des personnes radicalisées, notamment celles de retour de Syrie. Objectif : les sortir de leur parcours extrémiste et les réinsérer. Un centre a ouvert à Paris fin septembre, un deuxième est prévu à Marseille.



Lire aussi : Jean-Marc Borello : « La société civile, essentielle à la prévention de la radicalisation »

Plus discrètement, SOS a été retenu par le groupe parlementaire La République en marche (LRM) pour apprendre à une partie de ses députés à s’exprimer dans les médias. Et dans quelques jours, il devrait reprendre Les Brigades vertes, une grosse association de Dardilly (Rhône) chargée d’aider des personnes au revenu de solidarité active (RSA) à trouver un avenir, elle-même en grand péril.



Un hôpital à redresser, un monument historique à restaurer, des islamistes radicalisés à remettre dans le droit chemin, des élus à former, des réfugiés à héberger… De mois en mois, SOS n’en finit pas de remporter les appels d’offres les plus divers, et de grandir, grandir.



Au total, le groupe associatif affirme employer à présent près de 18 000 salariés dans 500 établissements, et table, pour 2018, sur un chiffre d’affaires de 948 millions d’euros. Le cap du milliard est en vue. « Cela fera une croissance de 10 % à 15 %, comme les années précédentes », évalue Jean-Marc Borello, installé dans son bureau du 11e arrondissement de Paris. En France, jamais une entreprise de l’économie sociale et solidaire n’avait atteint pareille taille.



Association milliardaire



Soudain, le patron de 60 ans se lève et ouvre la fenêtre, histoire de fumer une cigarette en mesurant le chemin accompli depuis la création des premières associations fondatrices de SOS, en 1984. « La valeur liquidative du groupe est désormais voisine de 1 milliard d’euros, notamment parce que notre “truc associatif” est propriétaire de ses murs, glisse-t-il avec satisfaction. Cela veut dire que, si demain on arrêtait tout, on se retrouverait avec 1 milliard. Mais qu’est-ce qu’on en ferait ? »



Une association milliardaire ! Joli succès pour cet ancien éducateur spécialisé, devenu gestionnaire de boîtes de nuit aux côtés de Régine, puis figure de proue de l’économie sociale, et désormais l’un des patrons les plus proches d’Emmanuel Macron. Après l’avoir eu comme élève à Sciences Po, le dirigeant de SOS s’est mis à son service durant la campagne présidentielle. Dans la foulée, deux anciens du groupe, Pacôme Rupin et Aurélien Taché, ont été élus à l’Assemblée.



Quatre mois après l’élection, le président-fondateur lui-même s’est vu confier par le gouvernement une mission sur « l’innovation sociale au service de la lutte contre l’exclusion ». Membre du bureau exécutif de LRM, l’homme fort de SOS préside aujourd’hui la commission chargée de choisir les candidats pour les élections européennes, un poste de confiance. Dans certaines réunions, « il arrive que M. Borello surplombe les ministres, leur coupe la parole », constate Louis Gallois, ancien patron de la SNCF et actuel président de la Fédération des acteurs de la solidarité.



Lire aussi : Jean-Marc Borello, l’atout social d’Emmanuel Macron

Mais ce succès ne va pas sans susciter des critiques. M. Borello s’est vu qualifier de « Bernard Tapie », d’« industriel du social ». Certains l’accusent de reproduire dans le monde associatif les logiques prédatrices du capitalisme classique. Et d’avoir constitué, avec SOS, un petit empire géré de façon clanique.



Pouvoir concentré



De fait, l’association est verrouillée. Pas de bénévoles, pas d’adhérents hormis une centaine de membres triés sur le volet : magistrats, hauts fonctionnaires, professeurs de médecine qui doivent être parrainés par les trente membres du conseil d’administration… qu’ils ont élus. Le circuit est ainsi bouclé, ce qu’admet le patron. « Bien sûr, il ne suffit pas de payer sa cotisation pour entrer : il faut avoir rendu des services éminents ou être ancien responsable des associations passées dans le groupe. » Le conseil, réuni trois ou quatre fois l’an, a d’ailleurs un rôle mineur, affirme un administrateur des premiers jours.



« Cette absence de contrôle démocratique, de contre-pouvoir, pose problème dans un domaine comme l’action sociale », juge Patrick Doutreligne, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux. M. Borello se défend : « C’est une association de gestion, elle reste fermée et à l’abri d’une OPA associative. »



En pratique, le pouvoir paraît concentré entre les mains du président et de quelques dirigeants, liés pour certains d’entre eux par des relations affectives ou familiales. « Oui, il y a autour de Jean-Marc une forme de cour, dont j’ai fait partie, et qui bénéficie parfois de privilèges, notamment d’appartements rachetés au groupe », reconnaît, un peu gêné, un ancien responsable.



Un château avec piscine et kangourous dans le parc



Le patron se déplace en voiture avec chauffeur. Il passe des week-ends dans une propriété du groupe, Les Tournelles, à Hautefeuille (Seine-et-Marne), un château avec piscine, jacuzzi, salle de projection, et même des kangourous dans le parc.



Des signes qui passent mal dans le milieu de l’action sociale et qui contrastent avec le sort des salariés de base. « En fin d’année 2017, j’ai voulu remercier mon équipe qui s’est démenée pour remettre sur pied notre accueil, témoigne une directrice. La hiérarchie a royalement proposé une prime humiliante de 50 euros... »



Et puis, il y a la façon dont Jean-Marc Borello se comporte avec certains hommes. La scène s’est répétée à de nombreuses reprises. « C’est une sorte de tradition », racontent des habitués. Lors des grandes fêtes qui ponctuent la vie du groupe, M. Borello ouvre le bal sur Gigi L’Amoroso, de Dalida. Lorsque résonnent les premières notes de piano et de mandoline, le patron de SOS choisit dans l’assemblée un des membres du personnel, un beau jeune homme en général, l’entraîne sur la piste et danse avec lui. Quand la chanson s’arrête, il embrasse son partenaire. Parfois sur la bouche.



« Moi, il m’a même roulé une pelle en public, par surprise, alors que je n’avais rien demandé », témoigne un de ceux passés entre ses bras, encore sidéré. « Il a essayé, mais j’ai tourné la tête à temps pour éviter son baiser », confie un autre. « Comme ses habitudes sont connues dans le groupe, les garçons qui ne veulent pas être pris pour cible sortent de la salle à ce moment-là, ajoutent trois anciens cadres. Mais tous ne sont pas avertis. »



« Je ne force personne »



Des baisers ? Jean-Marc Borello assume. « Cela peut choquer, mais nous savons d’où nous venons, c’est-à-dire d’Arcat, du Kiosque, des premières associations de lutte contre le sida. » Du baiser sur la bouche conçu comme un acte militant, et de la fête antidote à la mort. En revanche, il dément tout harcèlement. « Je ne force personne, se défend-il. Cette maison a été fondée sur la protection des plus faibles, et nous avons des procédures très rigoureuses contre ce genre de choses. » Aucune plainte n’a d’ailleurs été déposée.



« Tous les garçons ne sont pas consentants, corrige un de ceux qui ont assisté à ce type de scène. Mais comment voulez-vous qu’ils se rebellent ? Ils ont face à eux le patron du groupe, un homme imposant, charismatique, qui pourrait être leur père. Le pape de l’économie sociale et solidaire ! S’ils veulent faire carrière dans le secteur, ils n’ont aucun intérêt à ruer dans les brancards. »



« Je me suis senti agressé, mais je ne voulais pas être à l’origine d’une crise dans notre petit milieu », confirme un des hommes concernés, qui souhaite rester anonyme, comme les neuf témoins qui nous ont décrit ces situations. Et puis, autour d’eux, personne ne semble choqué. « Tu connais Jean-Marc, il est comme ça, avec ses excès… »



Quant à la stratégie tous azimuts du groupe, elle peut dérouter, elle aussi. Le patron assume. « Certains groupes veulent se concentrer sur leur “core business”. Nous, on en a soixante, de corps, et quand on en a marre, on en change ! », s’exclame-t-il en riant.



« Dans le domaine social au sens large »



Aux centres de soin pour les drogués ou les personnes handicapées, aux maisons pour les enfants de la Ddass, se sont ajoutés au fil des ans des hôpitaux, des crèches, des maisons de retraite, des chantiers d’insertion, des boutiques de produits équitables, deux journaux (Respect Mag, Up le mag), une radio (Raje), une agence de média training, un restaurant à Saint-Denis, ou encore le Pavillon Elysée, un lieu de réception ultrachic qui vient de rouvrir après un an de travaux, en bas des Champs-Elysées.



Derrière cet empilement, il y a une logique, plaide M. Borello : « inventer la société de demain » en multipliant les initiatives « dans le domaine social au sens large ».



De même, l’ex-patron du Palace revendique l’efficacité économique. « Dans de nombreux secteurs, nous sommes en concurrence directe avec le privé, par exemple dans les maisons de retraite, et on ne peut pas se louper », souligne-t-il. A ses yeux, gagner de l’argent est la clé pour continuer à assurer ses missions au profit d’un public toujours plus large.



Pour y parvenir, le groupe emploie une méthode bien rodée. D’abord, il dépense moins que d’autres pour payer son personnel, même si les écarts de salaires, initialement limités de 1 à 4, vont désormais de 1 à 15, en comptant certains chirurgiens. « Comme on donne du sens à leur job, on attire les meilleurs élèves des meilleures écoles, sourit le président du directoire. Ils viennent ici travailler plus et gagner moins ! »



Ensuite, parmi toutes les structures mal en point qui frappent à la porte, il ne reprend que celles qui bénéficient de subventions sûres ou, surtout, disposent d’un patrimoine immobilier. « C’est le critère numéro un », assurent des anciens. Une fois dans le giron du groupe, les structures font l’objet d’une reprise en main vigoureuse. Les dirigeants sont remplacés par de jeunes diplômés des meilleures écoles.



Gestion par courriel



Pour Maxime de Rostolan, fondateur de Fermes d’avenir, association qui prône une agriculture biologique, cela s’est bien passé, même s’il a dû lâcher la direction : « Nous avons longuement réfléchi avant d’adhérer à SOS, nous avons eu toutes les réponses à nos questions et, surtout, des moyens financiers pour un tour de France qui a permis de développer le concept », raconte-t-il.



Une autre association de producteurs, Bio Normandie, a, elle, renoncé au mariage malgré une mauvaise passe financière : « Nous avons tout de suite senti que la seule chose qui intéressait les émissaires de SOS était notre réseau de producteurs et transformateurs, bâti en vingt ans d’activité, mais pas notre fonctionnement ni nos valeurs, et que nous y perdrions notre identité », confie Grégory Tierce, responsable du pôle production.



Pour l’association bordelaise Mana, spécialisée dans les soins aux réfugiés les plus traumatisés, l’intégration, depuis juillet 2017, se révèle douloureuse. Les traducteurs du bulgare, du roumain, de l’albanais, de l’afghan, qui viennent à l’appui des médecins lors de consultations, ont été priés, pour certains, de devenir auto-entrepreneurs, d’accepter des missions facturées à la minute, sans prise en charge de leurs déplacements, sans rétribution si le rendez-vous est annulé, sans protection s’ils doivent se rendre dans des squats où peuvent sévir tuberculose, gale et rougeole… La gestion se passe désormais par courriel et plate-forme informatique, sans contacts humains, ce qui heurte ces travailleurs sociaux très impliqués dans leur tâche.



Economies d’échelle



Face aux tensions, Guy Sebbah, le directeur de SOS Solidarités est venu de Paris fin octobre en réunion de crise pour « écouter les salariés », constitués en collectif. Quatre jours plus tard, celle qui avait pris la parole au nom des autres, la psychologue Zineb Mantrach, était remerciée et son contrat non renouvelé à quatre jours de son échéance : « J’ai dû interrompre toutes mes séances et ateliers qui s’adressent à des réfugiés en grande souffrance, traumatisés par des viols, des tortures. »



Durant notre entretien, elle reçoit un texto : « J’ai besoin de vous. Quand revenez-vous ? », demande une ancienne patiente, enceinte à la suite d’un viol. « Je reçois plein de messages de ce type », explique en pleurant la psychologue.



Autre levier, le groupe joue la carte des économies d’échelle, en particulier au niveau des achats. A Douai (Nord), où SOS a repris en 2015 un établissement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), « on a pu économiser 70 000 euros par an grâce aux tarifs négociés par le groupe », relate ainsi M. Borello. La même mécanique devrait permettre d’améliorer les comptes des quatre Ehpad que la SNCF doit transférer à SOS au 1er janvier.

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