La Lorraine, voisine du Luxembourg, doit bénéficier de mesures spécifiques ! Une occasion se présente....
Début mars 2017, le Premier Ministre de l’époque, Bernard Cazeneuve, s’était déplacé à Longwy, dans le Nord de la Lorraine, près de la frontière luxembourgeoise.
Il m’avait publiquement chargé de mettre au point - comme il l’avait fait le lendemain dans l’ancien bassin houiller des Hauts de France où je l’accompagnais - un dispositif d’exonérations fiscales et sociales à l’image des zones franches existantes dans certains territoires, sur la base de critères précis (constitutionnels et euro-compatibles), qui permettrait d’encourager le développement économique sur tout ou partie des territoires victimes des mutations industrielles.
On constate en effet que les anciens bassins industriels, comme les bassins miniers ou les secteurs sidérurgiques, ont massivement perdu leur activité et donc leurs emplois, et qu’ils justifient de mesures particulières d’incitation à la création d’entreprises pour en prendre le relai.
C’est vrai dans l’ancien Bassin Minier du Nord et du Pas de Calais.
Mais c’est d’autant plus vrai dans l’ancien Bassin Minier Ferrifère Lorrain qu’il est voisin du Luxembourg. Le différentiel fiscal entre la France et le Grand Duché est tel que toute entreprise qui projette de s’installer dans le Nord de la Lorraine privilégie désormais une implantation hors de nos frontières.
Le Nord Lorrain devient une zone de résidence des travailleurs frontaliers, sans que ces territoires ne bénéficient des retombées fiscales des entreprises installées de l’autre côté de la frontière.
C’est tout le sens de l’article 13 du Projet de Loi de Finances Rectificative (PLFR) qui se présente au Parlement en ce moment : ce projet de loi propose un dispositif qui concerne en priorité l’ancien Bassin Minier des Hauts de France. Il allège la fiscalité des nouvelles entreprises pour encourager leur développement. C’est une bonne mesure ! Je l’avais préparée en avril 2017 avant de quitter le Gouvernement, en accord avec les acteurs de ce territoire, qui acceptent -pour une durée limitée - de renoncer à une partie des recettes fiscales pour les seules activités nouvellement créées.
Mais, parce que le Nord Lorrain présente le même phénomène de « déclin » industriel, parce qu’il est en plus soumis à la concurrence fiscale et sociale du Luxembourg, parce qu’il est attendu par les acteurs locaux du secteur, il est important de compléter l’article 13 pour qu’il concerne aussi la zone frontalière du Grand Duché.
Des solutions législativement compatibles avec les contraintes constitutionnelles françaises et avec les directives européennes existent. Je les ai travaillées et espère qu’à l’Assemblée Nationale ou au Sénat, les parlementaires représentant le Nord Lorrain sauront se mobiliser pour obtenir la légitime extension de ce type d’allègement fiscaux pour les territoires qui les ont élus.
Une telle mesure, attendue depuis longtemps, serait de nature à donner la preuve que la volonté politique peut s’affranchir des changements de majorité, dans le sens de l’intérêt général.
Les frontières se gomment pour libérer la circulation des capitaux, des marchandises et des personnes. Tant mieux ! Les nombreux travailleurs frontaliers du Nord Lorrain en bénéficient et y trouvent travail, revenu et dignité.
Mais la concurrence fiscale sauvage, encore récemment légitimement dénoncée par les « Paradise Papers » peut être atténuée par la création de zones à fiscalité particulière lorsque la réalité du terrain le justifie.
C’est le cas chez nous !
Le rapport de l'IGF qui fait pschitter les propos de Lemaire et Castaner
Après avoir parlé de « scandale d’État » et d’« amateurisme fiscal », après avoir voulu accréditer l’idée que la taxe sur les dividendes instaurée en 2012 était dès sa création non conforme au droit européen, après avoir cherché à installer le sentiment que l’amendement parlementaire dont j’ai été l’auteur en 2012 avait accentué la fragilité juridique de cette taxe, après avoir fait passer sans débat le coût du remboursement d’un peu plus de 5 Milliards à environ 10 Milliards, le Gouvernement actuel et ses deux Ministres de Bercy ont demandé à l’IGF (Inspection Générale des Finances) un rapport sur le sujet. J’ai déjà écrit un certain nombre de choses sur le sujet qui peuvent être utilement consultées sur mon blog.
On peut d’abord s’interroger sur la forme :
L’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a été connu le jour de mon départ de Bercy mi-mai 2017. Ce Gouvernement comme le Président de la République actuel, connaissaient parfaitement le sujet pour de multiples raisons. De plus, Alexis Kohler (aujourd’hui Secrétaire Général de l’Élysée), Laurent Martel (aujourd’hui conseiller fiscal à l’Élysée ET Matignon), Cédric Ô (ancien collecteur de fonds pour la campagne d’Emmanuel Macron, actuel trésorier de LREM et en même temps conseiller politique à l’Élysée ET Matignon) étaient tous d’anciens membres des cabinets de Bercy en 2012 et au delà !
Les Ministres et le porte-parole du Gouvernement auraient donc été mieux inspirés en commandant un rapport à l’IGF AVANT de s’exprimer de façon aussi radicale, mettant en cause en vrac les administrations de Bercy, les Ministres et leurs cabinets. Il est en effet très facile de parler de « bourde à 10 Milliards » en connaissant la fin du feuilleton pour captiver l’attention de nos concitoyens et mettre en cause les acteurs. C’est bien plus difficile d’en retracer les épisodes pour celles et ceux qui les ont vécus en responsabilité au jour le jour. Mais j’en relève le défi, car ces polémiques politiciennes ne servent pas la démocratie.
Sans pouvoir m’y obliger, l’IGF en la personne de sa Chef de Service, a proposé de m’entendre. J’ai accepté un échange téléphonique, car je partage l’objectif de transparence et de vérité sur un dossier d’une complexité juridique qui n’a d’égal que son enjeu financier.
J’aurais trouvé élégant de disposer du rapport un peu avant la presse pour en faire plus vite une analyse complète et rigoureuse. Mais depuis mai, la courtoisie des Ministres envers leurs prédécesseurs ne semble pas à l’ordre du jour.
Comme toujours, le fond importe plus que la forme :
Le droit fiscal français est d’autant plus complexe qu’il doit être compatible autant avec les directives européennes qu’avec nos propres principes constitutionnels. Méconnaître cela conduit à donner raison aux propos populistes, politiciens et caricaturaux entendus sur la taxe à 3% comme sur l’optimisation fiscale agressive justement dénoncée dans les « Paradise papers ».
Si l’on ajoute à cette complexité la puissance des cabinets fiscalistes, les circonvolutions des jurisprudences, les longueurs des procédures et l’irresponsabilité de certains acteurs politiques, on en vient à désespérer nos compatriotes, mais là n’est pas le propos du jour…
Le rapport confirme certains points importants :
- En 2012, personne n’avait vu les motifs qui ont conduit en 2017 la CJUE à l’arrêt de mai 2017. Quelques parlementaires de droite avaient bien combattu l’instauration de cette taxe, mais plus sur de (respectables) motivations politiques que sur les questions juridiques qui se sont révélées bien plus tard. Ces raisons juridiques ont d’ailleurs trouvé leur naissance dans l’interprétation extensive d’un article de la directive « mère-filles » par l’avocate générale de la CJUE suivie ensuite par la Cour. Mais ni les services de Bercy, ni le Conseil d’État consulté en 2012, ni les administrateurs des deux chambres, ni le Conseil Constitutionnel n’avaient fait d’observations.
- Le fameux amendement du rapporteur général de l’époque que j’étais avait été produit en concertation avec le Gouvernement et tenait compte des observations des organisation professionnelles concernées, notamment l’Association Française des Entreprises Privées (AFEP) qui regroupe 75% des entreprises concernées : pour éviter les doubles impositions sur les dividendes versés au sein d'un même groupe, les exonérations prévues dans le texte initial étaient difficilement gérables. S’appuyer sur les groupes fiscalement intégrés a donc été la formule retenue. Mais les deux dispositifs d’exonération excluaient de la même façon les versements depuis les filiales établies dans l’Union. Avec ou sans l’amendement « Eckert », le revirement ultérieur de la jurisprudence européenne aurait eu les mêmes conséquences.
- Dès lors la Commission a adressé en février 2015 une « mise en demeure ». Une telle procédure n’est pas rare, et n’est généralement que le début d’un long processus qui peut, en fonction des réponses, s’interrompre ou prospérer. Généralement, la Commission poursuit par un « avis motivé », puis, le cas échéant par une « saisine » de la CJUE - elle ne l'a d'ailleurs pas fait -. Là, la contestation par des entreprise d'une instruction fiscale a conduit le Conseil d'Etat à saisir la CJUE, preuve que la non conformité ne semblait pas évidente au Conseil d'Etat. La CJUE a d’ailleurs jumelé l’examen de la taxe française avec celui d’une taxe belge assez proche, modifiant encore le calendrier habituel.
- A l’automne 2015, j’ai eu des propos au Sénat qui ont été mal interprétés. Sans doute parce qu’ils ont été formulés de façon trop imprécise. J’en ai un souvenir précis : la « mise en demeure » de la commission soulevait deux points. La référence au régime d’intégration fiscale pour être exonéré de la taxe et la non-conformité par rapport à la directive mère-fille. Le régime d’intégration fiscale existant en France avait été fortement mis en cause dans un arrêt connu sous le nom d’arrêt « Stéria » paru en septembre 2015. Cette jurisprudence m’a conduit à dire que nous avions conscience de la non-conformité de l’exonération qui s’y référait, et à dire que je m’engageait à la corriger. Cela sera fait en Loi de Finances Rectificative fin 2016, engendrant une perte de recette estimée à 200 Millions d’Euros. Pour autant, toutes les analyses des services de Bercy recommandaient alors d’attendre l'issue du contentieux qui était loin d'être joué. De plus, modifier intelligemment la taxe aurait supposé de connaitre précisément les griefs de la Cour. J’ai suivi ces préconisations. Le Parlement en a eu connaissance, comme le révèle le compte-rendu de la commission élargie du 3 novembre 2016.
Le rapport évoque enfin la défense de l’État auprès du Conseil Constitutionnel entre mi-mai et début octobre 2017. Quelques questions me viennent néanmoins à l’esprit : pourquoi avoir doublé le coût des remboursements ? N’y avait-il pas possibilité de différencier le type de dividendes versés ? Pourquoi le Conseil Constitutionnel n' a-t-il pas été tenu informé du coût budgétaire des remboursements ? Ne pouvait-on pas plaider pour une demande de mise en conformité dans des conditions moins brutales ? L’objectif affiché de rendement de la taxe, rendu nécessaire par la situation des finances publique mi-2012 n’a-t-il pas été trop affiché par rapport au motif d’intérêt général visant à freiner le versement de dividendes aux actionnaires pour favoriser les fonds propres et les investissements ?
Le rapport évoque aussi les pistes pour sécuriser l’écriture des textes fiscaux. J’en partage l’essentiel. L’idée de pouvoir consulter en amont le Conseil Constitutionnel pour apprécier les risques pris par le Parlement est à privilégier. Si cela peut paraître limiter le rôle du Parlement, c’est sans doute préférable à des annulations brutales et peu compréhensibles sauf pour une poignée de juristes ou d’universitaires.
Celles et ceux qui auront eu le courage de se plonger dans ce dossier pourront porter un regard critique sur les institutions, sur les administrations et sur les Ministres en charge…Ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui… En espérant que cela puisse servir à ceux de demain !