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CHAPITRE 4 DE MON LIVRE : L'HISTOIRE DE LA LOI ECKERT...

14 Février 2023 , Rédigé par Christian Eckert

4

 

Face au visage trouble de la finance

 

 

Mon épouse Laurence a longtemps travaillé pour la Commission bancaire, devenue depuis l’Autorité de contrôle prudentielle et de résolution (ACPR), en charge de vérifier le respect des textes et des règles prudentielles par les banques et les assurances. Il y a longtemps, bien avant que je ne devienne député, elle me rapporte avoir demandé à disposer de la liste des comptes détenus par des clients centenaires. Elle s’étonne de recevoir une liste de plusieurs milliers de comptes, presque tous inactifs, ponctionnés régulièrement – avec, bizarrement, de frais de tenue de compte ! –, avant d’être passés en pertes et profits, les pertes des clients devenant les profits de la Banque…

 

Elle s’en émeut naturellement et propose à son « chef de mission » d’en faire grief à la banque, dans le rapport préparé par l’équipe sur place. Légitimement, le chef de mission oppose un refus. Aucun texte, ni législatif ni réglementaire, ne définit la notion de compte inactif ou les obligations de la banque en matière d’avoirs en déshérence. Si la question des contrats d’assurance-vie est connue et – très mal – traitée, le sujet des comptes bancaires inactifs est face à un vide juridique aussi sidéral que sidérant.

 

Certaines lois ou mesures fiscales portent le nom de parlementaires : contrats Madelin, dispositif Scellier, loi Carrez, allègements Fillon, crédit d’impôt Girardin ou Pinel. Une loi promulguée en juin 2014 est aujourd’hui connue sous le patronyme « Loi Eckert ». Ce texte est le fruit d’une belle histoire...

 

 

Victoire face au lobby de la finance

 

En 2012, je deviens rapporteur général du Budget et Laurence me suggère de me mettre au travail sur la question de ces avoirs « oubliés ». Gilles Carrez préside la Commission des finances de l’Assemblée nationale. Classé à droite, Gilles Carrez est un parlementaire travailleur, intelligent et courageux. Il accepte que nous commandions ensemble un rapport sur le sujet à la Cour des comptes. Le rapport sera rendu public en juillet 2013 : alors que le pays compte environ 20 000 centenaires, ils sont censés détenir environ 675 000 comptes bancaires, soit  trente-trois comptes chacun ! La Cour estime à environ un milliard les avoirs concernés !

 

À l’évidence, mon idée de légiférer sur le sujet dérange quelques lobbies. Les banques et les sociétés d’assurances, bien introduites à Bercy, freinent des quatre fers, d’autant qu’avec ma collègue Sandrine Mazetier, députée parisienne très active sur le sujet, nous poussons aussi l’idée d’un fichier des contrats d’assurance-vie, qui pourrait  faciliter les contrôles et éviter les contrats « oubliés ».

 

Je dépose donc un amendement créant ce fichier à l’occasion d’une loi de finances. Les services de Pierre Moscovici, alors ministre des Finances, n’en veulent pas, prétextant des difficultés techniques, informatiques ou juridiques. Moscovici est conscient du risque d’être battu en séance et m’appelle personnellement – c’est rare – pour m’en demander le retrait.

Je lui suggère de s’engager au micro à accepter d’examiner une proposition de loi parlementaire sur les comptes inactifs et les avoirs en déshérence et m’engage, en échange, à retirer l’amendement qui le dérange, au profit d’un travail parlementaire à venir.

Le marché est conclu et chacun tiendra sa promesse. Le fichier des contrats d’assurance-vie (FICOVIE) sera créé plus tard, mais j’ai le feu vert du ministre pour préparer une loi sur les comptes bancaires inactifs.

 

Une phase préliminaire débute alors, conduite grâce à une petite équipe d’administrateurs de l’Assemblée mise à ma disposition sous la direction de leur chef, Philippe Dautry, un fonctionnaire aussi méticuleux qu’enthousiaste.

Je concerte tous azimuts : banques, sociétés d’assurance, notaires, généalogistes, Banque de France, Caisse des dépôts et consignations (CDC)… Un texte ambitieux est préparé sur ce sujet complexe. Le droit de propriété et les délais de prescriptions en vigueur font l’objet de discussions avec le ministère de la Justice. Ma femme Laurence y va également de ses conseils avisés, tirés de son expérience.

 

Le secteur de la finance comprend rapidement qu’il a perdu la bataille. Les représentants du secteur font contre mauvaise fortune bon cœur… Ils se disent désormais favorables au texte, trouvant là une façon de redorer leur blason !

 

Philippe Dautry, conscient de la technicité du texte, me suggère d’utiliser la faculté – rarement mise en œuvre par le Parlement – de solliciter l’avis du Conseil d’État. Le président de l’Assemblée Claude Bartolone l’accepte. Lors d’une séance solennelle de la plus haute juridiction administrative, les hauts magistrats statueront favorablement sur la conformité du texte en préparation, moyennant quelques modifications mineures.

Pour résumer, le texte prévoit que les banques doivent chercher et avertir les bénéficiaires des comptes inactifs. En cas d’inactivité constatée et prolongée, la Caisse des dépôts et consignations reçoit les fonds et les conserve pendant trente ans. À tout moment, les ayants-droits peuvent évidemment les récupérer.

Bercy m’arrache en dernière minute une année de délai supplémentaire pour la mise en œuvre technique du texte, mais le gouvernement, maître de l’ordre du jour du Parlement, accepte sa programmation !

 

 

Une loi qui porte mon nom, pas mon prénom !

 

Au groupe socialiste, la règle est connue. Toute proposition de loi déposée par un de ses membres a comme premier signataire le président de groupe, donc Bruno Le Roux. Je demande à le voir. Je lui explique que le texte est une idée de mon épouse et qu’elle a largement contribué à sa rédaction. Il connait les contraintes que la vie parlementaire impose à nos conjointes. Il finit par m’accorder ce qu’il a refusé jusque-là à d’autres au sein du groupe socialiste.

Pour que la loi porte notre nom, je bénéficierai d’une exception et serai le premier député  signataire de la proposition de loi. Si aujourd’hui il existe une loi « Eckert », c’est en l’honneur de mon épouse, plus à l’origine du texte que moi.

 

La loi Eckert est entrée en vigueur. J’ai reçu depuis de très nombreux témoignages de particuliers ayant reçu des sommes parfois significatives provenant de comptes oubliés. La Caisse des dépôts a reçu dans un premier temps près de quatre milliards d’avoirs qui attendent d’être réclamés par les personnes qui les possèdent sans le savoir. Une somme énorme, qui démontre que Laurence avait là levé un lièvre qui méritait d’être rattrapé.

 

Avec de la volonté et de la persévérance, on peut modifier des choses concrètes de la vie des gens. C’est l’honneur de la politique. Pour des millions de particuliers, quelques dizaines d’Euros ici, quelques centaines là, un livret A en sommeil, de l’épargne salariale oublié, cela représente beaucoup d’argent…

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