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L'art de communiquer sur un document encore inconnu !

28 Juin 2017 , Rédigé par Christian Eckert

La communication devient un art difficile, certains y excellent et s’en servent à merveille. C’est d’autant plus frappant  quand on a été Secrétaire d’Etat à Bercy durant 3 ans, et que l’on se retrouve plus d’un mois après son départ, sollicité de partout pour commenter un rapport de la Cour des Comptes qui n’est pas encore public et dont on a eu aucun extrait, aucune synthèse et encore moins le contenu.

Lorsque l’on est Secrétaire d’Etat au Budget, on a plusieurs particularités, certains diraient avantages : « Le Canard Enchainé » nous est apporté dès la fin d’après-midi du mardi. Les rapports de la Cour des Comptes nous sont communiqués bien avant leur publication, et les Ministres sont invités à fournir leurs commentaires écrits annexés au rapport. Nos cabinets et les directions de nos ministères analysent, tempèrent ou confirment les affirmations péremptoires des magistrats ou des nombreux commentateurs des éléments fournis, techniquement toujours bien « moins binaires » que les dépêches ou articles de presse.

Hier matin, mardi, un journaliste du palmipède me passe à 8h03 un message SMS donnant quelques chiffres de l’audit que la Cour doit publier jeudi. Il me demande si cela m’étonne et ce que je réponds à cela, me prévenant d’un appel prochain d’un de ses collègue. Je lui réponds que c’est inutile et que je ne peux commenter un rapport dont je ne dispose pas.

Dès la fin de l’après-midi du mardi, comme Le Canard est arrivé dans les rédactions, beaucoup de médias relaient des chiffres bruts, partiels et non expertisés. Mais l’information est passée, il manquera 9 Milliards en 2017. Fermez le ban !

Naïvement, depuis ma (semi-)retraite en Lorraine, j’avais cru que l’actualité du mardi serait la rentrée du Parlement, celle du mercredi serait celle du projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances présenté en Conseil des Ministres, et que jeudi, disposant de tous les éléments, l’audit de la Cour ferait débat, de façon contradictoire… Les fuites organisées par les uns et/ou par les autres en ont décidé autrement.

Voilà pour la forme, ne négligeons pas le fond.

La préparation de la loi de finances pour l’année 2017 a commencé en mai 2016, avec les données disponibles alors. Le texte a été adopté par le Parlement fin décembre 2016, a pu être quelque peu actualisé, pour intégrer au fil du temps les nouvelles données macro-économiques, ou des décisions prises pour répondre à des priorités de mai 2016 à décembre 2016. Pas au-delà…

 Adopter une loi de finances est évidemment important, l’exécuter conformément aux prévisions en est une autre, au moins aussi importante. Ayant cette chance (?) depuis avril 2014, Michel Sapin et moi avons régulièrement constaté, généralement avant le début de l’été, que pour tenir les objectifs votés, il fallait en cours d’année, prendre des mesures correctrices pour financer, un jour la sécheresse, un jour le coût des opérations militaires, un jour le coût d’une mesure économique ou fiscale prise par le Gouvernement pour soutenir la croissance, un jour des dépenses sociales non prévues, un jour des charges d’intérêts en hausse imprévisible, un jour la recapitalisation d’une très grande entreprise nationale fragilisée, un jour le renforcement du pays contre les risques d’attentats... La place me manque pour citer tous les exemples qui se sont produits.

Nous avons donc régulièrement mis en place une « réserve de précaution », qui sert en fin de gestion à couvrir les dépenses imprévues. A notre départ de Bercy en mai 2017, elle était de plus de 12 Milliards, bien plus que d’habitude.

Comme tous les ans au moments de la transmission à Bruxelles du Programme de stabilité, nous avions posé le principe de l’ordre de 4 Milliards de mesures de redressement (comme en 2014, 2015 et 2016), ce qui a conduit la commission à considérer que notre trajectoire convergerait vers 3% de déficit public (contre 2.8% affichés en loi de finances). Un surgel d’1.4 Milliards de crédits a été effectué avant notre départ, en détaillant les crédits concernés. Il semble, d’après la presse, que la Cour n’ait pas intégré ce surgel.

Toujours d’après la presse, la recapitalisation nécessaire pour Areva entre autres seraient considérée comme une dépense alors que, à ma connaissance, la Commission ne s’est pas encore prononcée sur la nature des ces débours probables. Nous avons toujours précisé cette incertitude dans nos documents budgétaires et dans nos présentations au Parlement.

Concernant les recettes, la presse n’évoquerait que l’incertitude du rendement du STDR (Service de Traitement des avoirs non déclarés à l’Etranger). Nous avions retenu un objectif ambitieux et « stimulé » l’administration pour le respecter.

Les éléments avancés par la presse ne remettent pas en cause, à ma connaissance, les objectifs de déficit des autres secteurs publics, la sphère sociale et les collectivités locales.

Tout cela n’est pas une surprise pour qui veut bien sortir des raccourcis, regarder les détails tout en prenant un peu de recul.

Comme Secrétaire Général Adjoint de l’Elysée, puis comme Ministre à Bercy (certes de l’Economie et pas des finances !), Emmanuel Macron a tiré les leçons de l’erreur de François Hollande commise mi 2012 : ne pas communiquer suffisamment sur la difficulté de la situation des comptes publics, et sur le temps nécessaire à leur redressement.

Pour autant il ne faut pas oublier quelques données factuelles : le déficit public dépassait 150 Milliards à la fin de la législature précédente, il était de moins de la moitié fin 2016, certifié par la Cour des Comptes. Tous les secteurs de la dépense publique y ont contribué, et si le déficit de l’Etat s’est en fait peu réduit, c’est que tous les allègements de cotisations sociales ont été compensés par l’Etat à la Sécurité Sociale.

Cette communication est habile, mais aurait pu en même temps utilement documenter les mesures budgétaires et fiscales contenues dans le programme présidentiel, dont on attend les modalités qui pour certaines d’entre-elles restent bien vagues surtout dans leur financement.

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